L’attentat de Sarajevo

1 Contexte avant cet épisode

Le « long chemin menant à la Première Guerre mondiale » trouva diverses origines spécifiques en Europe, avec par exemple, la volonté affirmée de l’empereur d’Allemagne Guillaume II d’étendre ses possessions commerciales et territoriales. Le Kaiser Guillaume II et son état-major furent les principaux instigateurs de l’attentat de Sarajevo.

Mais cette hégémonie impériale germanique n’était pas la seule en œuvre dans cette fin du 19ème siècle et début du 20ème siècle. Partout dans le monde, les puissances européennes mais aussi, celles émergentes comme les États-Unis ou le Japon, cherchaient à imposer leur volonté d’expansion coloniale.

Chacune de ces interventions joua un rôle direct ou indirect sur le conflit mondial qui bouleversa la géographie de la planète en 1919.

Depuis le début du 19ème siècle, les puissances européennes avaient exercé leur domination sur une grande partie de l’Afrique mais aussi en Asie. Par exemple, les Français étaient en Indochine, les Espagnols étaient aux Philippines, les Néerlandais en Indonésie, les Britanniques étaient en Malaisie. Certaines régions comme l’Inde, étaient partagées entre les Britanniques, les Portugais et les Français.

La Russie, grâce aux finances françaises (l’emprunt russe) permettant la construction du chemin de fer « Transsibérien » avait étendu ses territoires à l’Est, vers la Sibérie.

Toutes ces opérations de colonisation, à but commercial mais aussi militaire, engendraient à chaque fois des oppositions et des rancœurs entraînant souvent des conflits localisés, dans lesquels intervenaient directement ou secrètement des puissances envieuses et jalouses.

Déjà à cette époque, les États-Unis, puissance économique en construction, étaient intervenus aux côtés des Japonais face aux Russes, aux Français et aux Anglais, lors de la guerre Russo-Japonaise de 1895.

L’attaque japonaise, et sans sommation, de la flotte américaine à Pearl Harbor en 1941, reste vive encore dans les mémoires des contemporains du 21ème siècle. Cependant, un siècle plus avant, précisément en 1854, les États-Unis avaient eux aussi tenté de coloniser le Japon pour y installer, par la force, des comptoirs de commerce.

 

1.1 En Europe

Depuis le début du 19ème siècle, le partage ou la gestion des colonies des puissances européennes étaient âprement négociés et finalement imposés au cours des « Congrès » dans lesquels participaient les empires et les grands pays, comme le Royaume-Uni, la Russie, la France, l’Autriche, la Turquie et l’Allemagne après 1870.

Les pays de l’Europe centrale étaient en ébullition depuis le déclin de l’Empire ottoman. Les peuples des pays inclus dans l’espace géographique des « Balkans » souhaitaient, pour certains, s’émanciper de la domination turque et pour d’autres, de la domination de l’empire Autriche-Hongrie.

En 1878, au Congrès de Berlin, les principales puissances européennes, à la demande du Royaume-Uni, avaient imposé des frontières aux États de la péninsule balkanique, sans tenir compte des situations locales pourtant très instables. En plus des circonstances économiques désastreuses de certains de ces pays, les conflits interreligieux et interethniques y étaient de plus en plus fréquents.

L’Empire ottoman déclinant, la pression et l’influence des puissances européennes comme l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne ou la Russie sur les Balkans étaient de plus en plus grandes.

Pour diverses raisons économiques et militaires, ces pays ont fortement contribué à la déstabilisation de cette région des Balkans, dans laquelle on trouvait, au début du 20e siècle, la Bosnie, la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, le Monténégro et la région de la Macédoine.

C’est en grande partie à cause de ces effets que plusieurs conflits se sont déroulés dans cette « poudrière » des Balkans dans les années 1912 et 1913.

 

1.2 Dans l’empire Ottoman

La désagrégation de l’Empire ottoman, avant la Première Guerre mondiale, était perceptible à l’extérieur mais aussi en interne. Certains jeunes Turcs comme Mustafa Kemal ou Envers Pacha souhaitaient accentuer et accélérer la modernisation de l’Empire.

En 1908, avec l’aide de l’armée, consternée par la dégradation de l’Empire ottoman, ils renversèrent le sultan et s’emparèrent du pouvoir avec la devise de la Révolution française « liberté, égalité, fraternité ».

Cependant, ce nouveau gouvernement fut rapidement en prise directe avec les États voisins comme la Bulgarie, la Grèce et la Serbie qui, après la Russie, souhaitaient eux aussi, agrandir leur territoire en profitant de l’instabilité et de la fragilité chronique de l’Empire ottoman.

Suivant les intérêts économiques et militaires des uns et des autres, les grandes puissances européennes comme la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie ou la Russie prirent parti pour ou contre les divers intervenants.

 

1.3 En Asie

Dans la mer de Chine et dans l’Océan Pacifique, le Japon, qui à la fin du 19ème siècle, comme les États-Unis, était une puissance économique et militaire émergente, voyait d’un mauvais œil la colonisation proche et de plus en plus importante des puissances européennes.

Souhaitant, lui aussi, prendre part à son expansion impériale dans cette région du monde, le Japon fit, dès 1873, son entrée dans l’ère des armées modernes en vue d’invasion et de colonisation au profit de l’Empire du Soleil levant.

La guerre sino-japonaise en 1894 et 1895 fut le premier conflit moderne sur le continent chinois et plus précisément dans la péninsule Coréenne et en Mandchourie. Ce conflit impliquant le Japon et la dynastie chinoise Qing va principalement se dérouler le long des côtes. Cependant, le Japon perdit ses acquisitions dans ces territoires suite à une intervention militaire des Russes, des Français et des Allemands.

La guerre russo-japonaise en 1904 et 1905 fut le second conflit dans lequel le Japon fut impliqué et partiellement victorieux face à une nation européenne. Ce fut aussi la première fois qu’une nation asiatique avait signé un accord d’assistance mutuelle avec le Royaume-Uni.

Ce fut aussi au cours de cette guerre, que la marine japonaise de conception française (par l’inventeur et ingénieur du génie maritime Louis-Émile Bertin) et formée par les Britanniques, coula en janvier 1905, à Port-Arthur toute la flotte russe du Pacifique puis les 45 navires russes de la flotte de la Baltique, en mai 1905, lors de la bataille de Tsushima, entre la Corée et les îles japonaises.

 

1.4 Le bon moment pour les Allemands

Le Kaiser Guillaume II avait planifié l’invasion de la France et de la Russie depuis 1905. Absolument décidé à élargir ses territoires en Europe, il était convaincu que l’expansion de son Empire devait impérativement passer par l’invasion de ces deux pays, situés à chaque extrémité de l’Allemagne.

Le seul risque, très vite perçu par l’état-major allemand, était d’être obligé de gérer deux fronts simultanément. Aussi, le plan d’attaque validé par Guillaume II résidait dans le fait de tout faire pour l’éviter et donc de vaincre rapidement les armées françaises, puis immédiatement retourner toutes les armées allemandes vers la Russie.

Tous les événements depuis une dizaine d’années dans ces deux pays confortaient Guillaume II dans une victoire possible et rapide sur le front ouest. La France, dont l’esprit majoritairement pacifiste et antimilitariste, voire germanophile, avait des gouvernements frileux et incompétents depuis l’instauration de la IIIe République.

En effet, les seules défenses militaires solides en France étaient installées sur la frontière Est, face à l’Alsace et le département de la Moselle, devenus territoires allemands en 1871. C’est pourquoi, le plan d’attaque de Guillaume II prévoyait de contourner ces installations en traversant la Belgique et le Luxembourg, pourtant déclarés neutres. Ce plan fonctionna si bien que les Allemands le rééditèrent en 1940.

Autre paramètre loin d’être négligeable, malheureusement ignoré par les différents gouvernements de la IIIe République française, était la différence démographique entre l’Allemagne et la France. Les Allemands étaient 70 millions et les Français 39 millions en 1914.

En Russie, la situation économique n’était pas à l’avantage du tsar Nicolas II qui gouvernait difficilement ce grand pays, en voie de modernisation. En plus des nombreuses révoltes et de la première Révolution avortée de 1905, la Russie dut subir, à l’Est, une guerre d’invasion par le Japon. Ce dernier avait détruit tous les navires de la flotte russe en mer de Chine.

Cependant, suivant les principaux dirigeants militaires allemands, le « bon moment » pour lancer sur la France les armées de Guillaume II dépendait d’une part, de la fin des travaux du canal de Kiel, pour laisser passer ses nouveaux grands navires de guerre et d’autre part, que la justification d’attaquer la France ne soit pas directement impliquée à l’Allemagne.

En effet, pour limiter l’éventuelle intervention de la grande flotte de guerre britannique, l’Allemagne devait aligner dans la mer du Nord une flotte de guerre comparable à celle du Royaume-Uni et donner l’impression aux Anglais, opposés à l’invasion de la France, que Guillaume II intervenait pour aider son allié agressé, l’Empire d’Autriche-Hongrie.

Compte tenu de ces paramètres, la date retenue par l’état-major allemand était août 1914. Tout a été mis en œuvre du côté des Allemands mais aussi de ses alliés pour réunir les conditions nécessaires. Les armées et la marine allemande étaient au rendez-vous dès le début du mois d’août 1914. Il restait à organiser le prétexte de déclaration de guerre émanant en premier de l’Autriche-Hongrie.

Ce prétexte fut l’assassinat à Sarajevo, capitale de la Bosnie, de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, par des membres d’un pays protégé par la Russie, en l’occurrence, la Serbie.

 

2 L’attentat

2.1 Un risque prévisible et ignoré, voire souhaité

L’archiduc François-Ferdinand, de la Maison d’Habsbourg-Lorraine, né à Graz en Autriche le 18 décembre 1863, était le neveu de François-Joseph 1er, l’empereur d’Autriche-Hongrie. François-Ferdinand devint orphelin de mère en 1871, après le décès de l’archiduchesse Marie-Annonciade.

Son père, l’archiduc Charles-Louis avait renoncé au trône et ce fut l’archiduc François-Ferdinand qui est devenu l’héritier du trône de l’Empire austro-hongrois en 1896.

Les relations entre l’empereur et l’archiduc étaient souvent très tendues de par l’histoire et la généalogie de ses parents, mais surtout suite à son mariage, le 1er juillet 1900, avec la comtesse Sophie Chotek, dite de « rang inférieur ». Le mariage, bien que célébré au château de Reichstadt, fut très discret et « boudé » par tous les archiducs de la cour impériale.

En effet, le protocole impérial était très strict ; Un membre de la maison impériale devait impérativement épouser un membre d’une dynastie régnante ou ayant régné en Europe. Hélas, la comtesse Sophie Chotek n’était « que » l’une des dames de compagnie de la princesse Isabelle de Croy, l’épouse de l’archiduc Frédéric de Teschen.

L’empereur François-Joseph 1er avait fini par accepter le mariage de l’archiduc François-Ferdinand avec Sophie Chotek, car après lui dans l’ordre de succession au trône, il y avait « pire » encore, avec le frère cadet, l’archiduc Otto, un débauché libertin notoire.

Excellent tireur, l’archiduc François-Ferdinand était un passionné de chasse. Il chassait principalement des animaux exotiques comme des tigres, des lions, des éléphants ou des kangourous. Il aurait tué au cours de sa vie plus de 274 889 animaux qu’il faisait empailler. Ce « tableau » de chasse était très critiqué au sein de la cour impériale.

François-Ferdinand était en désaccord total avec l’empereur François-Joseph 1er sur le traitement des Slaves au sud de l’Empire et plus particulièrement, il était contre une guerre avec la Serbie.

Nommé inspecteur général des armées austro-hongroises en 1913, François-Ferdinand devait, à la demande de l’empereur, participer aux manœuvres de juin 1914 en Bosnie.

François-Ferdinand avait déjà pressenti son futur assassinat, de par l’évolution des événements dans les pays slaves et ses divergences de plus en plus grandes avec l’empereur. Il en avait fait part quelques mois avant, avec son neveu Charles François Joseph de Habsbourg-Lorraine. Celui-ci fut le dernier empereur d’Autriche de novembre 1916 à novembre 1918.

L’archiduc François-Ferdinand, pour ces manœuvres de juin 1914 en Bosnie-Herzégovine et la visite de la capitale Sarajevo, était venu avec son épouse Sophie.

 

2.2 Les conditions favorisant l’attentat

Les manœuvres militaires se sont déroulées le 27 juin 1914. Le 28 juin 1914, était réservé à la visite de la ville de Sarajevo et l’inauguration d’un nouveau musée.

Officiellement, pour des raisons de respect du protocole impérial, le prince de Monténuovo avait retiré toutes les troupes à l’extérieur de la ville. Grand-maître de la cour impériale, ce dernier refusa que les armées austro-hongroises présentent les honneurs militaires en présence de Sophie, duchesse de Honenberg et épouse de l’archiduc François-Ferdinand.

Il ne restait que 36 policiers au sein de la ville de Sarajevo, pour assurer la sécurité du cortège et la protection de l’archiduc et de son épouse.

La visite de Sarajevo fut maintenue alors que le ministre autrichien Bilinski, chargé de l’administration de la BosnieHerzégovine, avait été prévenu d’un potentiel attentat, plusieurs jours avant, par l’ambassadeur de Serbie. Ce dernier avait été informé d’un mouvement aux frontières du pays, de plusieurs groupes d’individus extrémistes connus de la police, pour des faits avec armes.

Cependant, le ministre Bilinski, comme son empereur François Joseph 1er, était vivement favorable à une guerre avec la Serbie et n’a donc pas prévenu l’archiduc François-Ferdinand, ni les policiers de Sarajevo. De plus, il était fort probable que le ministre fut dans la confidence des desseins de son empereur et peut-être de ceux des Allemands.

 

2.3 L’attentat

L’attentat contre l’archiduc François-Ferdinand se déroula en deux étapes, le 28 juin 1918. Un premier attentat a eu lieu immédiatement après une petite cérémonie en l’honneur de l’archiduc. Alors que la voiture décapotable venait de prendre le départ, un des conspirateurs lança une grenade sous la voiture, mais celle-ci explosa à l’arrière du véhicule de l’archiduc, blessant les passagers de la seconde voiture.

En arrivant à la résidence du gouverneur de Sarajevo, l’archiduc fit part de son mécontentement aux autorités locales. L’archiduc, s’inquiétant sur le sort des blessés de la seconde voiture, décida de leur rendre visite à l’hôpital où ces derniers furent transportés.

Hélas, les chauffeurs des véhicules ne furent pas informés de ce changement de programme et conduisirent le couple dans une direction prévue initialement, soit en plein milieu de la foule, qui les attendait pour les acclamer.

C’est au milieu de cette foule, dans laquelle les forces de police réduites à l’impuissance, qu’un autre terroriste, le jeune étudiant d’origine serbe, Gravilo Princip, ouvrit le feu sur le couple, atteignant Sophie à l’abdomen et François-Ferdinand au cou. Les deux blessés succombèrent avant leur arrivée à l’hôpital.

Ce jeune Serbe était en fait en train de s’éloigner du premier lieu de l’attentat manqué lorsqu’il aperçut la voiture de l’archiduc revenir dans sa direction.

Le « hasard » ou la « négligence » des autorités locales aurait voulu que l’archiduc fût conduit dans la mauvaise direction et sur un parcours très faiblement sécurisé, alors qu’il y avait plus de 40 000 soldats autrichiens, à l’extérieur de la ville.

 

3 Conséquences immédiates

Après les obsèques du couple, qui se sont déroulées à Vienne, le 4 juillet 1914, en présence de l’empereur et de toute la famille impériale, Sophie et François-Ferdinand furent inhumés dans la chapelle funéraire du château d’Artstetten.

En Autriche, les avis étaient partagés entre tristesse et satisfaction de voir disparaître le plus fervent partisan d’un troisième pôle « slave » de direction de l’empire, en plus de la double monarchie austro-hongroise.

En Serbie, et notamment à Belgrade, c’est un mouvement de joie et de satisfaction qui prédomine au sein des diplomates, autrichiens ou allemands, en poste dans le royaume.

Cet attentat fut, par certains alliés des Allemands et des Autrichiens, considéré comme l’excuse nécessaire et attendue pour déclarer la guerre à la Serbie et ainsi, par le jeu des alliances, mettre le feu dans toute l’Europe.

Après un ultimatum imparable, le 23 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie, le 28 juillet 1914.

 

 

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Pour lire la suite, voir le chapitre « Le kaiser déclare la guerre à la France » …