Coup d’État du 18 Brumaire
1. Contexte précédant cet épisode
Pour essayer de bien comprendre les événements qui amèneront Emmanuel-Joseph Sieyès, alors l’un des cinq directeurs du Directoire et le général Bonaparte, à commettre ce coup d’État les 18 et 19 Brumaire de l’An VIII (9 et 10 novembre 1799), il faut au préalable mieux connaître les évolutions en France sous le Directoire.
Notamment, les problèmes de recomposition dans les Assemblées, engendrés suite aux dernières élections, au sein du Conseil des Anciens et du Conseil des cinq-cents, depuis 1797. Enfin, il faut mieux connaître Bonaparte, ce jeune officier du roi, devenu général de la Révolution.
Mais avant cela, voyons ses origines, sa famille, son enfance et sa formation militaire, pour mieux apprécier son comportement, son caractère et ses choix en tant que général, avant de devenir Premier Consul.
1.1 Situation en France et incidences sur le régime en place en 1798 et 1799.
En France …
La Constitution de 1795 (5 Fructidor an III) est en place, depuis septembre 1795. Celle-ci a introduit un pouvoir législatif représenté par deux Assemblées (bicamérisme) : le Conseil des « cinq-cents » qui propose les lois, et l’autre Assemblée du Conseil des Anciens (250 membres), qui les adopte ou les rejette. Ces deux Assemblées se renouvellent par tiers chaque année.
Cette Constitution de 1795 a mis aussi en place un pouvoir exécutif, confié à cinq directeurs, d’où le nom de Directoire. Ces derniers sont élus par les deux Assemblées et se partagent la présidence, pendant trois mois à tour de rôle.
Les élections partielles d’avril 1797, au Conseil des « cinq-cents », les députés « royalistes » deviennent majoritaires (150 sur 177). Or, les élections précédentes au Conseil des Anciens avaient déjà placé les royalistes majoritaires au sein de cette Assemblée. Donc, les royalistes devenaient majoritaires dans les deux Assemblées. Ce qui entraîna, dès le 4 septembre 1797 (18 fructidor an V), un conflit avec le Directoire, qui a fait appel à l’armée et a annulé les dernières élections.
Lors de ce coup d’État, le Directoire a fait arrêter 65 députés et journalistes royalistes, qui seront déportés en Guyane. À la suite, le Directoire, revenant à des procédés révolutionnaires, va faire emprisonner ou déporter des centaines de prêtres réfractaires.
Aux élections partielles d’avril 1798, c’est l’inverse, la gauche « jacobine » sort majoritaire. Aussi, le Directoire invalida l’élection de 106 députés radicaux.
Aux élections partielles d’avril 1799, les royalistes s’abstenant, la gauche a repris la majorité et fait un coup d’État le 18 juin 1799, contraignant deux directeurs, à la démission (Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux et Philippe-Antoine Merlin de Douai). Ceux-ci seront remplacés par des extrémistes jacobins.
Merlin de Douai était le Président du Directoire, depuis le 26 mai 1799. Il est remplacé par un autre directeur, Emmanuel-Joseph Sieyès. L’esprit révolutionnaire en France est réactivé. La politique antireligieuse reprend, avec la fermeture de nombreuses églises. Le pape Pie VI, prisonnier de la République, depuis 1798, meurt le 28 août 1799 à Valence. De nombreuses insurrections royalistes apparaissent dans toute la France.
Le nouveau Président du Directoire, depuis le 18 juin 1799, Emmanuel-Joseph Sieyès, suite aux problèmes provoqués par les résultats aux dernières élections partielles des deux chambres, en 1798 et 1799, va chercher à mettre en place, par la force, une nouvelle Constitution.
Les résultats de ces élections avaient entraîné l’insurrection constante des « royalistes » ou des « gauches révolutionnaires » (jacobins). La nouvelle Constitution devra apporter plus de stabilité et de pouvoir à l’exécutif.
Pour préparer son coup d’État, Emmanuel-Joseph Sieyès ne peut compter sur les autres directeurs corrompus du Directoire (Paul Barras, Pierre-Roger Ducos, Jean-François Moulin, Louis Gohier), ni sur les ministres comme Talleyrand, Cambacérès, Bernadotte ou Lindet, qui ne pensaient qu’à s’enrichir, au plus vite.
Emmanuel-Joseph Sieyès, qui a œuvré depuis 1788 pour renverser la monarchie au profit du Tiers État, s’est rendu compte depuis qu’il était très difficile de gouverner un pays comme la France, sans un pouvoir exécutif fort. Il ne suffit pas d’avoir une ou plusieurs Assemblées, en charge du pouvoir législatif, pour donner une direction et une stabilité au pays.
Après ces dix années de Révolution, c’est un constat particulièrement perturbant pour Emmanuel-Joseph Sieyès, car cela bouscule ses idées fondamentales. Celui-ci les avait défendues dans son essai, publié en janvier 1789, « Qu’est-ce que le Tiers état ? ». Cette brochure, tirée à plus de trente mille exemplaires, avait été lue par plus d’un million de personnes, avant les États généraux de 1789.
En 1799, il était enfin convaincu qu’au sommet de l’État, de préférence à ses côtés, il fallait un militaire (une épée), connu et reconnu, pour ses capacités, ses exploits et son caractère de « chef ». Dans ses réflexions sur l’avenir de la future Constitution, Emmanuel-Joseph Sieyès n’avait pas encore compris et donc admis que lui-même ne pourrait pas être ce chef. Il n’avait pas non plus compris que si Bonaparte était ce militaire (épée) espéré, ce dernier, ne se contenterait pas d’être le « second ».
Emmanuel-Joseph Sieyès, comme nous allons le voir, n’aura pas d’autre choix, faute de laisser le pouvoir à la monarchie, en passe de revenir, par les voies légales des élections ou par l’usage d’un coup d’État, ce qu’il a toujours combattu depuis 1789.
Sur le front extérieur …
La République française, après les victoires des armées de la Révolution et le traité de Campo-Formio, a annexé plusieurs territoires ou régions limitrophes à la France. C’est ainsi que, par exemple, la République de Genève, la Belgique (Pays-Bas autrichiens), le Luxembourg, une partie de la Hollande jusqu’à Maastricht, sont directement rattachés à la France.
Les autres territoires conquis sont organisés en Républiques-sœurs (République batave, cisalpine, helvétique, romaine, Parthénopéenne), dans lesquelles, la République française, imposera une administration calquée sur celle du Directoire. Dans tous ces territoires, y compris en France, le Directoire a imposé la « conscription » afin de renforcer les armées de la République.
En Italie, la coalition russo-autrichienne, dirigée par le général russe Souvorov, avait bousculé l’armée du général Jean Victor Moreau à Cassano (27 avril 1799), puis celle du général Macdonald à Trebbia (juin 1799), expulsant les Français des territoires conquis, lors de la première Campagne d’Italie.
En Allemagne, l’armée de Jean-Baptiste Jourdan à Stockach était en train de reculer face à l’armée autrichienne, commandée par l’archiduc Charles.
2 Biographie de Bonaparte, officier du Roi, général puis premier Consul.
2.1 Son enfance
Avant de faire connaissance avec le personnage, il faut planter le décor. Un an avant la naissance de Napoléon Bonaparte à Ajaccio, le 15 août 1769, la Corse est devenue française. C’est en mai 1768 que la République de Gênes vend la Corse à Louis XV.
À l’époque déjà, les indépendantistes de l’île dirigés par un certain Pascal Paoli pourrissaient la vie des dirigeants génois et c’est avec une certaine satisfaction que ceux-ci voyaient cette cession à la France, en échange d’un prêt de deux millions de livres à la République de Gênes. Une guerre entre Gênes et ces indépendantistes a fait rage de 1729 à 1743.
La famille Paoli, le père Giacinto Paoli et le fils Pascal Paoli, né en 1725, a dû s’exiler à Naples dès 1739. Pascal Paoli, de retour en Corse en 1755, a essayé de fonder une République corse, jusqu’à l’arrivée des Français sur l’île. Confronté à l’armée royale de Louis XV, aidée de soldats corses du Parti français, les indépendantistes perdent l’ultime bataille de Ponte-Novo, en mai 1769.
Après cette défaite, Pascal Paoli s’exila en Angleterre. La France nomma le marquis Charles Louis de Marbeuf comme gouverneur de l’île Corse.
À l’époque, l’Italie que nous connaissons au 21e siècle n’existait pas. On y trouvait plusieurs « duchés et royaumes » indépendants ou rattachés au Saint-Empire Austro-Hongrois, comme le royaume de Lombardie (Nord de l’Italie) et la République de Vénétie.
Aux portes de la France, on trouvait le royaume de Sardaigne et, en direction de Rome, les duchés de Parme, de Modène et de Toscane. Sans oublier les États pontificaux, la République de Venise et, dans le sud de l’Italie, le royaume des Deux-Siciles. La langue parlée en Corse, à l’époque, était un dérivé de l’italien.
Le père de Napoléon, Charles Buonaparte, ancien lieutenant de Pascal Paoli, opta de collaborer pour l’avenir de sa famille, après la défaite face aux troupes françaises. La France accorda son pardon aux indépendantistes et permit à la famille de Charles Buonaparte et à son épouse Letizia de rejoindre Ajaccio, au moment de la naissance de leur deuxième fils, Napoléon. Le premier, Joseph était né en 1768. La famille s’agrandira par la suite, de Lucien en 1775, d’Élisa en 1777, de Louis en 1778, de Pauline en 1780, de Caroline en 1782 et de Jérôme en 1783.
La famille Buonaparte habitait une grande maison, rue Malerba (rue de la Mauvaise Herbe), qu’elle partageait avec des cousins, les Pozzo di Borgo. La tension était souvent vive entre les deux clans, car la famille Buonaparte, bien que de fortune modeste, savait se montrer orgueilleuse et fière. Leurs ancêtres, venus de Toscane, s’étaient installés à Ajaccio depuis plusieurs siècles et pouvaient prétendre à quelque noblesse. En 1771, la famille Buonaparte est reconnue comme noble par le Conseil supérieur de Corse.
Le père de Napoléon, Charles Buonaparte, devenu avocat au barreau d’Ajaccio, amateur de jolies femmes et joueur impénitent, continuait ses intrigues pour la réussite de sa famille. Les Français, ses anciens ennemis, étaient devenus ses meilleurs alliés. Le marquis de Marbeuf, nommé gouverneur de la Corse par Louis XV, fut tout naturellement admis dans la famille Buonaparte, certains diront même, ami intime de Letizia Buonaparte.
Très tôt, Charles Buonaparte, qui avait beaucoup d’ambition pour ses fils, intrigua en vue d’orienter le destin de Napoléon vers une carrière militaire et celui de l’aîné Joseph, vers une carrière ecclésiastique. Le marquis de Marbeuf l’aida dans ses projets, en permettant l’élection de Charles Buonaparte, en tant que député de la noblesse à Versailles, délégué des États Corses.
Ceci permit au marquis de Marbeuf de se rapprocher plus intimement de Letizia Buonaparte et à Charles Buonaparte, de se rapprocher des antichambres ministérielles, en vue d’obtenir des bourses royales, pour ses fils Napoléon et Joseph.
2.2 Son éducation
Au cours de son voyage pour Versailles, en décembre 1778, Charles Buonaparte, accompagné de ses deux fils aînés, les déposa chez l’évêque d’Autun, Monseigneur Yves Alexandre de Marbeuf, le frère du gouverneur de Corse.
Installés là, les deux enfants attendraient de pouvoir rejoindre, l’un, à l’école militaire et l’autre, au séminaire. Ce qui sera fait, dès que leur père Charles aura obtenu les bourses royales et les autorisations nécessaires, à l’accès à ces écoles, réservées à la noblesse. En attendant, les deux garçons suivront des cours de français, au collège d’Autun.
C’est en mai 1779 que Charles obtint, pour son fils Napoléon, une place à l’école militaire de Brienne (100 km à l’est de Paris). Cette école, réservée aux enfants de nobles, avait pour vocation la formation militaire aux futurs jeunes officiers de l’armée royale. Napoléon Bonaparte rejoindra cette école, à l’âge de 9 ans. Il recevra une formation en français, dans un environnement très dur, pour un enfant de cet âge et au milieu de condisciples extrêmement froids, distants et souvent moqueurs vis-à-vis de son nom, de son accent et de son physique.
Napoléon, à cet âge, était d’un naturel chétif et colérique. C’est à Brienne qu’il forgea son aversion pour les aristocrates et en partie pour la France de l’époque, avant de se voir rejeté, plus tard, par les Corses eux-mêmes. C’est aussi, à cause de Brienne, que son nom d’origine, Buonaparte, moqué par ses condisciples de l’école militaire, sera « francisé » fin 1795 en Bonaparte.
Napoléon Bonaparte resta à Brienne jusqu’à l’âge de 15 ans, où il prépara le concours d’entrée, à l’École militaire de Paris (École royale du Champ de Mars). Durant ces six longues années, seul, dans ce milieu dur et hostile, il ne pouvait pas supporter l’idée de ne pas être le premier de sa classe. Il reçut en tout, durant sa formation, une seule visite de son père, pendant l’été 1784 et une autre, de sa mère en 1782 à l’âge de 13 ans.
Cette période, très difficile, a forgé son caractère et l’a fait mûrir plus vite que beaucoup d’autres enfants. Il quitta Brienne le 17 octobre 1784, pour rejoindre l’École militaire de Paris, jusqu’en septembre 1785, dont il sortit promu lieutenant en second (officier dans l’armée du roi). Il avait tout juste 16 ans, lorsqu’il fut affecté au régiment d’artillerie de la Fère, à Valence.
2.3 Ses premiers pas en tant qu’officier du roi
Son père Charles Buonaparte est mort à Montpellier, en février 1785, probablement d’un cancer de l’estomac. Sa disparition augmentait les responsabilités familiales, qui reposaient sur les épaules de Napoléon Bonaparte, âgé de seulement 15 ans, et de son frère Joseph, les aînés de la famille.
À Valence, il fut logé, avec un camarade de promotion, chez Mademoiselle Bou. Il avait aussi, malgré son jeune âge et sa maigre solde d’officier subalterne, pris en charge son très jeune frère Louis (7 ans). Lui, qui n’a pas eu la chance de bénéficier de la chaleur d’un foyer et de l’amour maternel, depuis ses 9 ans, il se devait d’aider son jeune frère à la place de ses parents.
Le jeune lieutenant du roi coule des jours simples et agréables entre un service peu prenant, des repas modestes entre camarades, des bals, des excursions dans le Dauphiné et quelques réceptions dans la « haute » société de la ville. Il fréquente Mme du Colombier et surtout sa fille Caroline, avec laquelle, il ira cueillir des cerises, en toute innocence.
Il passera aussi beaucoup de temps à lire et parfois à écrire. En concert avec son époque, il se passionnera pour les écrits de Jean-Jacques Rousseau, notamment le « Contrat social » et de deux penseurs militaires contemporains, Jean-Baptiste Gribeauval et Hippolyte de Guibert.
Il s’essaya dans quelques tentatives d’écritures, sur la Corse et la liberté, probablement influencé par Rousseau et l’ambiance révolutionnaire, qui coulait dans les rues de Valence. En août 1786, il obtint un congé semestriel et en profita pour rejoindre la Corse, en songeant à ses habitants sous le joug des Français.
Il les imaginait enchaînés et soumis. Son imagination l’embarquait vers de possibles rebellions, auxquelles il participerait. Contrairement, à ce qu’il pensait, son retour en Corse fut plus que décevant. Sa famille s’était bien agrandie pendant ses huit années d’absence et ses discussions dans le maquis, avec des paysans locaux, le décurrent profondément. Il ne trouvait plus cet esprit de liberté qu’il avait imaginé. Il ne « trouvait que des gens tièdes et résignés ».
Après une première prolongation de congé en avril 1787 et les affaires de la famille, devenant vraiment préoccupantes, le jeune lieutenant Bonaparte entreprit un voyage à Paris pour adresser diverses réclamations, aux sièges de certaines administrations. Ce voyage à Paris lui permit aussi de découvrir la Capitale et d’autres plaisirs, jusque-là inconnus, par ce jeune officier du roi.
À la suite d’un second congé en 1788, de plusieurs mois, qu’il passa en Corse, Napoléon Bonaparte est contraint de rejoindre son régiment à Auxonne, petite ville de Bourgogne. Il s’était déjà absenté durant vingt et un mois. Il sollicita un troisième congé en 1789, après les événements du 14 juillet à Paris et de ceux liés aux États Généraux de juin à fin août 1789.
2.4 Le jeune officier dans la tourmente révolutionnaire
À 20 ans, il débarqua en Corse en septembre 1789 et comme dans tout le pays, la Corse était en effervescence. Elle est, elle aussi, divisée. Les « royalistes » d’un côté, les « nationalistes » et « indépendantistes », dirigés par Pascal Paoli, d’un autre côté, et enfin le Parti populaire, en passe d’être « révolutionnaire » et « républicain ». Ces derniers, plus ou moins « pilotés » par un certain Salicetti, poussaient à ce que la Corse rejoigne les révolutionnaires parisiens et forme au plus vite un corps local de la Garde Nationale.
Le jeune officier du roi, alors en congé, après une hésitation à rejoindre Pascal Paoli, qu’il a rencontré, finit par approuver l’orientation de Salicetti, qu’il croisa lui aussi, à plusieurs reprises. Il décida de jouer un rôle dans cette Garde Nationale. Il se préparait à participer au destin, depuis le début de sa formation militaire. Son frère Joseph, choisit lui, une orientation de député de l’Assemblée Constituante, en cours de création sur tout le territoire.
À la suite de la déclaration de guerre, par la France révolutionnaire, au roi de Bohême et de Hongrie, un grand nombre d’officiers des armées royales émigrèrent à l’étranger. La Révolution avait besoin de conserver ceux qui restaient et en profita pour nommer le jeune officier du roi, Napoléon Bonaparte, au grade de Capitaine des armées de la République.
Comme sur tout le territoire français, la guerre civile s’était installée entre les partisans de l’aristocratie et ceux, proches des révolutionnaires parisiens. En Corse, plus particulièrement, ceux qui militaient pour l’indépendance de l’île s’affrontaient souvent dans la violence avec les aristocrates et les révolutionnaires.
Napoléon Bonaparte et sa famille n’ont pas échappé à cette turbulence, en choisissant le camp des révolutionnaires. Malheureusement pour lui, à cette époque, les indépendantistes étaient plus nombreux et mieux structurés. Aussi, à 24 ans, Napoléon Bonaparte et sa famille, pourchassés dans les rues d’Ajaccio par Pascal Paoli et ses partisans, durent fuir la Corse, pour rejoindre Toulon le 13 juin 1793.
La famille s’installa à Marseille, provisoirement dans un hôtel rue Lafon. C’est là que Napoléon Bonaparte et son frère Joseph firent la connaissance des filles Clary, respectivement Désirée et Julie. Joseph épousera Julie quelques temps plus tard, alors que Désirée, après avoir flirté avec Napoléon, finira par épouser le futur général Bernadotte. Ce dernier deviendra roi de Suède et de Norvège, le 5 février 1818.
Napoléon Bonaparte, à la suite de ces événements, convaincu qu’on n’a pas besoin d’idéaux pour réussir en politique, choisit la Révolution, comme son frère aîné Joseph. Converti à la cause française, par la force des choses, le jeune officier Bonaparte déclara à l’attention de ceux dont il cherchait la protection : « J’ai sacrifié le séjour de mon département » et « J’ai abandonné mes biens, j’ai tout perdu pour la République ». Lui, qui n’était pourtant pas très à l’aise dans l’écriture, rédigea un factum, Le souper de Beaucaire : « Peut-on être assez fort en Révolution ? » Suivi de : « Marat et Robespierre, voilà mes saints ! ».
2.5 L’officier de la Révolution et ses premières épreuves du feu
Chanceux, Bonaparte le fut en cette fin d’année 1793, grâce à Salicetti, qui lui proposa le 18 octobre 1793 le commandement de l’artillerie (chef de bataillon) de l’armée du général Jean-François Carteaux, désigné par la Convention. Celle-ci marchait sur Toulon, où les royalistes étaient en nombre important dans la flotte de guerre française.
Cette ville, qui s’était déclarée contre la « Terreur » et donc la République, avait ouvert les portes aux Anglais et aux Espagnols. Les navires anglais occupaient la rade et bloquaient les accès de la ville.
Le général Carteaux n’avait aucune compétence en matière d’artillerie et il déçu rapidement, par l’absence de résultats probants, les envoyés spéciaux de la Convention, dans le sud de la France. Ceux-ci, chargés de la supervision des opérations, étaient représentés par l’ex-vicomte Paul-François de Barras, devenu « seulement » Paul de Barras, Augustin Robespierre, le frère cadet de Maximilien Robespierre, Louis-Marie Stanislas Fréron et Antoine Christophe Salicetti.
Les « Missionnaires de la Terreur », Paul de Barras et Louis-Marie Stanislas Fréron, qui avaient été arrêtés le 18 juillet 1793, par les sections municipales toulonnaises insurgées à la Convention, s’étaient échappés. Ils avaient rejoint l’armée « des Carmagnoles » envoyée par la Convention, pour reprendre Toulon et Marseille.
Attentifs aux conseils avisés de Bonaparte concernant l’utilisation de l’artillerie, les responsables mandatés par la Convention, Paul de Barras et surtout Augustin Robespierre, remplacèrent le général Carteaux par le général Dugommier, le 16 novembre 1793. Ce dernier, soldat de métier, approuva les plans et conseils de Bonaparte, pour reprendre la ville et la rade.
À cette bataille de Toulon, commencée le 25 août 1793, au cours de laquelle toute la flotte de guerre française fut détruite ou incendiée, le général Jacques Dugommier chassa finalement les Anglais de Toulon, le 19 décembre 1793. Ceci put se réaliser, grâce à l’effort important et décisif de l’artillerie, sous les ordres du jeune chef de bataillon Bonaparte.
C’est au cours de cette bataille de Toulon que Bonaparte fit connaissance des futurs maréchaux et généraux d’empire, Junot, Masséna, Suchet, Perrin et Viesse de Marmont.
Bonaparte monta très vite en grade pendant cette bataille de Toulon ; de Chef de bataillon en octobre, il est promu adjudant-général le 1er décembre 1793, puis général de brigade le 22 décembre 1793, à l’âge de 24 ans.
Cette bataille de Toulon fut, pour Bonaparte, une excellente formation sur l’optimisation et l’exploitation de l’artillerie, en fonction des reliefs du terrain et des forces militaires en présence. À Toulon, ce fut pour lui, un « cas d’école » complexe avec plaines, collines, fortifications et la rade comme obstacle infranchissable.
Il a pu, durant ces deux mois d’intervention (mi-octobre à mi-décembre 1793), échafauder avec intelligence et efficacité diverses opérations militaires, dans lesquelles l’artillerie fut à chaque fois, l’élément décisif et de victoire. Y compris, dans certains cas, avec des forces en présence, parfois en sa défaveur. Bonaparte, à Toulon, malgré son jeune âge, a bénéficié d’un exemple réel de champ de bataille, qu’il retrouvera plus tard, lors de la première Campagne d’Italie.
C’est aussi, grâce à son efficacité lors de la bataille de Toulon, que le jeune général Bonaparte a pu se rapprocher de Maximilien Robespierre. Ce dernier était alors responsable du comité de salut public et de l’instauration de la « Terreur ». Il dut ce rapprochement grâce à Augustin Robespierre et Paul de Barras. Ce dernier deviendra le personnage clé du gouvernement de la France, à partir du deuxième semestre 1794.
2.6 La chute de Robespierre, le début du général Bonaparte
À la suite de Toulon, après quelques mois de repos, le général Bonaparte, en février 1794, est nommé par la Convention, commandant en chef de l‘artillerie de l’armée d’Italie. Aussi, il passa de nombreuses heures à esquisser un plan, en vue de la conquête de l’Italie.
Cependant, le 27 juillet 1794, la chute de Robespierre et de ses partisans stoppa net les travaux de Bonaparte et celui-ci, un temps soupçonné d’être trop proche de Robespierre, fut arrêté et emprisonné au fort Carré d’Antibes, le 9 août 1794.
Il sera libéré quelques jours plus tard et rejoindra l’armée d’Italie, alors sous le commandement du général Pierre Jadart du Merbion, devenu « Dumerbion ». Celui-ci demanda au jeune général Bonaparte de préparer un plan de campagne pour cette armée. À part quelques petites victoires de cette armée d’Italie, dans le sud de la France et à la frontière de l’Italie, rien ne marqua profondément la suite des événements jusqu’à la fin 1795.
Dumerbion quitta le commandement en novembre 1794. Il sera remplacé par le général Schérer, du 21 novembre 1794 au 26 mars 1796. Ce général Schérer suppliera la Convention de le débarrasser des « officiers corses » qui l’encombraient en mettant en doute leur patriotisme.
La Convention a proposé en vain au général Bonaparte plusieurs commandements en Vendée, alors en pleine révolte. Celui-ci préféra rester à disposition de l’armée d’Italie et, en attendant, il retourna à Paris, accompagné de son petit « état-major » (Junot, Marmont) et de son frère Louis.
Paris avait beaucoup changé depuis son dernier séjour dans la capitale. Paris aspirait enfin à trouver une certaine accalmie, après s’être débarrassé des « gauches robespierristes », des « extrêmes gauches » et rejeté « l’ordre » proposé par le comte d’Artois, futur Louis XVIII. Mais à Paris, il manquait un « chef » avec de l’autorité et un vrai pouvoir, le gouvernement de l’époque est trop « mou » pour assurer une véritable stabilité.
Napoléon Bonaparte, avec son squelettique « état-major », trouve à se loger dans une très modeste soupente de l’Hôtel de la Liberté à Montmartre. Ils vivent de maigres provisions, provenant de chacun d’eux et de quelques aides de leur famille. Tous très jeunes, ils vivent surtout d’espoir en l’avenir.
Le général Bonaparte piétine tous les jours dans les antichambres des bureaux de la Guerre, dans l’espoir d’obtenir une affectation. Compte tenu de son passé et de sa proximité avec Robespierre, il n’est pas le bienvenu, pour l’instant, même pour Barras, qui a découvert Bonaparte au siège de Toulon.
Le 4 août 1795, François Aubry est à la tête du comité de salut public. Celui-ci, pro-royaliste, a été formé à l’École royale d’artillerie de la Fère. Il était capitaine d’artillerie, au début de la Révolution. C’est lui qui a nommé Bonaparte, commandant de l’armée de Vendée, face aux émeutiers.
Commandement, que Bonaparte a refusé, ce qui lui a coûté d’être rayé des cadres. Malgré cela, Bonaparte réussit à se faire embaucher par le nouveau responsable de la Direction de la Guerre. Il sera « attaché » au bureau topographique du Comité de Salut Public.
2.7 Le jeune général Bonaparte rencontre Joséphine
En cette période, d’un Paris redécouvrant bals et amusements dans les salons particuliers, la reine de ce microcosme parisien est Mme Thérésa Tallien, amie de Paul de Barras et des principaux personnages de la Convention Thermidorienne. À nouveau invité, à l’une de ces soirées parisiennes, par Mme Tallien, Bonaparte s’y présente portant son nouvel uniforme.
C’est ce soir-là qu’il découvre Joséphine, veuve du général de Beauharnais, ex-président de l’Assemblée Constituante. Barras, présent lui aussi, à cette soirée, a constaté le regard émerveillé de Bonaparte sur Joséphine, et lui dit discrètement « Une belle créole ! ».
2.8 Le général Bonaparte « Vendémiaire »
En cette année 1795, Paris est le théâtre de nouvelles révoltes. Après les deux premières insurrections parisiennes d’avril et de fin mai 1795, contre la Convention Thermidorienne, la Constitution de la République du 5 Fructidor an III (22 août 1795) est adoptée. Paris est bouleversé par de nombreuses émeutes royalistes, qui tentent de reprendre le pouvoir par la force.
La Convention, aux abois, confie à Barras le Commandement supérieur des troupes de Paris, en vue de sauver la République.
Le 5 octobre 1795 (13 Vendémiaire an IV), Paris subit la troisième insurrection de royalistes, aidés par une partie des Gardes Nationaux, soit environ 25 000 hommes. Barras offre à Bonaparte le commandement en second de l’armée de la Convention, pour rétablir l’ordre au plus vite dans Paris. Bonaparte accepte la proposition et fait distribuer huit cents fusils aux Conventionnels (députés).
Il ordonne à Joachim Murat de récupérer, dans le parc des sablons, tous les canons disponibles et les fait placer aux extrémités des rues proches des Tuileries, où siège la Convention. Sur ordre de Barras, Bonaparte fait ouvrir le feu sur les émeutiers. Les canons mitraillent une heure durant et on dénombre déjà plus de trois cents morts parmi les insurgés, sur les marches de l’église Saint-Roch.
Cette opération militaire aura eu raison de l’insurrection et Bonaparte portera longtemps le surnom de « général Vendémiaire ». Le soir même, il est promu général de division à l’âge de 26 ans, ce qui permettra, à lui et son petit « état-major », de quitter son logement dans l’hôtel minable de Montmartre, pour le Quartier général rue des Capucines.
2.9 Le mariage du général Bonaparte et de Joséphine
Cette épreuve de force favorisa Barras, mais aussi Bonaparte, qui fut nommé général en chef de l’armée de l’Intérieur. Barras, devenu directeur principal du Directoire grâce à Bonaparte, intrigua avec Mme Thérésa Tallien pour rapprocher Napoléon de Joséphine veuve de Beauharnais. Cette dernière, convoitant toute bonne fortune, avait été la maîtresse de Barras.
Celui-ci, souhaitant s’en débarrasser et maintenir près de lui, le nouveau Commandant en chef de l’armée de l’Intérieur, organisa leur rencontre en privé. Sur les conseils de Mme Tallien et de Barras, le 28 octobre 1795, Joséphine écrivit de sa main, à Bonaparte, l’invitation à déjeuner en privé. Barras, en bon manipulateur, promit à Bonaparte le commandement de l’armée d’Italie, si celui-ci acceptait de se marier avec son ancienne maîtresse. Une méthode, donnant à Barras l’espoir de garder un certain contrôle sur Bonaparte.
Suivant les écrits de Bonaparte, lors de son exil à Sainte-Hélène et confirmés, par ceux des enfants de Joséphine, Eugène et Hortense, la première rencontre avec Bonaparte fut en fait le fruit d’un malentendu. En effet, directement à la suite de la troisième insurrection royaliste du 13 Vendémiaire, la Convention ordonna par décret l’interdiction aux Parisiens de détenir des armes.
Ce sont les troupes de Bonaparte qui, de maison en maison, ont récupéré toutes les armes. Or, dans l’appartement de Joséphine et de ses enfants, les soldats de Bonaparte ont récupéré un sabre. Celui-ci appartenait au général Alexandre de Beauharnais, guillotiné le 23 juillet 1794. Le lendemain matin, Eugène a rendu visite à Bonaparte et lui a demandé de bien vouloir lui restituer le sabre de son père. Le général Bonaparte autorisa la restitution. Joséphine, quelques jours plus tard, a rendu visite à Bonaparte pour le remercier.
La différence d’âge, entre les intéressés, contribua au rapprochement (Napoléon est âgé alors de 26 ans et Joséphine a 32 ans et deux enfants). Napoléon, qui n’a pas eu la chance, dans son adolescence, de bénéficier de l’amour maternel, sera très sensible à la jeune femme expérimentée et plus âgée que lui.
Les rendez-vous se succédèrent, pendant plusieurs mois, jusqu’au mariage. C’était pourtant Joséphine qui fut la plus réticente à accepter ce mariage. C’est l’extrême précarité de sa situation, avec deux enfants à charge, dans une époque très troublée et incertaine (Joséphine, alors épouse du général Alexandre de Beauharnais, a connu la prison pendant la « Terreur »), qui finit par définitivement valider son choix, en signant le contrat de mariage, en date du 8 mars 1796. Le mariage se déroula le 9 mars 1796, à dix heures du soir, avec comme témoins, Barras et Mme Tallien.
2.10 Le général Bonaparte et la 1ère campagne d’Italie
Le 11 mars 1796, le général Bonaparte part avec Junot prendre le commandement dont il vient d’être investi. Il remplaça, à la tête de l’armée d’Italie, le général Schérer, qui en novembre 1794, avait supplié la Convention de le débarrasser du général « corse ».
En place, restent quatre généraux, qui ont de la « bouteille ». Le premier, et le plus vieux, le général de division Sérurier, 54 ans, a fait la guerre de sept ans et la campagne de Corse en 1770, avec les troupes royales de Louis XV. Le second, le général de division La Harpe, 42 ans, d’origine suisse, a participé à la bataille de Toulon, en décembre 1793. Le troisième, le général de division Augereau, 39 ans, parigot, il a participé à la répression de la révolte des Chouans en Bretagne. Le quatrième, le général de division Masséna, 38 ans, a lui aussi participé à la bataille de Toulon.
Bonaparte n’est pas parti seul, en plus de Junot, il a fait venir sa « mafia » de Toulon, avec Marmont, Muiron, Berthier et enfin Leclerc.
À cette époque, l’armée d’Italie, composée de 50 000 hommes, est la cinquième armée de la République. Elle sera la composante face aux coalisés (Autriche, Royaume de Sardaigne, les États pontificaux), situés dans le nord de l‘Italie.
Dans le nord de la France et face aux Anglais, sur les côtes de la Manche, il y avait l’armée du général Hoche, composée de 15 000 hommes.
Face aux coalisés de Prusse (80 000 hommes) et d’Autriche (173 000 hommes), on trouve au Nord-est de la France, l’armée Sambre-Meuse du général Jourdan, composée de 78 000 hommes et en Alsace, l’armée Rhin-Moselle du général Moreau, composée de 79 500 hommes. Enfin, dans les Alpes, l’armée du général Kellermann, composée de 18 000 hommes.
La première campagne d‘Italie débute avec l’arrivée de Bonaparte à Menton, le 2 avril 1796. Son premier discours à ses troupes à Nice révèle ses exceptionnelles qualités de meneur d’hommes : « Soldats, vous êtes nus, mal nourris, je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde ». Dès le 10 avril 1796, il passe à l’offensive contre l’armée autrichienne.
Les combats victorieux se succèdent : le 12 avril 1796 à Montenotte, le 13 avril à Millesimo, le 15 avril à Dego, le 21 avril à Mondovi. Le 28 avril 1796, les Sardes s’avouent vaincus et les envoyés du roi Victor-Amédée III signent l’armistice de Cherasco. À la poursuite des Autrichiens, Bonaparte entre à Plaisance, le 7 mai 1796, après avoir passé le Pô. Trois jours plus tard, c’est la victoire de Lodi. Le 15 avril 1796, l’armée française entre à Milan.
Comme le souhaitait Barras, l’armée d’Italie va remplir les caisses de l’État français, appauvries par les années de Révolution et de guerre.
Durant les semaines qui suivent, le général Bonaparte conclut des traités avec Naples, le duché de Parme et le Saint-Siège. Il entame en même temps le siège de la ville de Mantoue, en vue d’attaquer l’Autriche en passant par le Tyrol. Le 30 juillet 1796, il lève le siège de Mantoue, pour se porter au devant de ses adversaires autrichiens, qui ont commis l’erreur de diviser leurs forces.
Le 3 août 1796, Masséna bat un de leurs corps d’armée à Lotano, le 5 août, un second corps subit une défaite à Castiglione. Enfin le 8 septembre 1796, un troisième corps est battu à Bassano, ce qui oblige le général en chef autrichien Wurmser à se réfugier à Mantoue. Un autre corps d’armée autrichien, venu au secours de Wurmser, sous la direction du général von Borberek, est vaincu le 17 novembre 1796 à Arcole.
Opiniâtres, le 14 janvier 1797, les Autrichiens essaient deux nouvelles tentatives, qui échouent à Rivoli et le 16 janvier 1797, à Favorite. Le 2 février 1797, Wurmser capitule et évacue Mantoue. Bonaparte signe le 19 février 1797 un traité de paix, avec le Pape Pie VI à Tolentino.
En mars 1797, le général Bonaparte prend la direction de l’Autriche et passe le Piave, le 12 mars. Le 16 mars 1797, il culbute l’armée de l’archiduc Charles à Tagliamento et le 23 mars, il entre à Trieste. Le 18 avril 1797, Bonaparte et les représentants de l’empereur François II signent les « préliminaires » de paix.
Bonaparte et le comte Louis de Cobentzel, représentant officiel de l’empereur François II du Saint-Empire, signent le traité de paix entre la France et l’Autriche à Campo-Formio, le 18 octobre 1797.
Les Autrichiens, vaincus, le général Bonaparte se tourne alors vers la République de Venise, qu’il occupe le 15 mai 1797. Un traité de paix est signé le 16 mai 1797, en vertu duquel, cet État devra fournir à la France argent, vaisseaux, tableaux et manuscrits, avant de se voir imposer une profonde réorganisation de la structure administrative. Ce qui sera aussi décrété aux deux autres Républiques Cisalpines (Italie du Nord).
Napoléon Bonaparte, désigné par le Directoire comme représentant plénipotentiaire de la République française, est envoyé au congrès de Rastadt du 27 novembre au 1er décembre 1797. Il est de retour à Paris, le 5 décembre 1797.
2.11 Le général Bonaparte et la campagne d’Égypte
Pendant que le général Bonaparte était occupé en Italie, à Paris, le gouvernement était dans la tourmente. Le Directoire, composé de cinq directeurs, était confronté à l’évolution de la constitution des deux Assemblées (Conseil des Anciens et Conseil des cinq-cents). Depuis la mise en place de ces Assemblées, conformément à la Constitution du 22 août 1795, leur composition change, chaque année en avril, pour le renouvellement par tiers.
Or, en avril 1797, le pouvoir chancelle car les royalistes deviennent majoritaires dans les deux chambres. Le Directoire, confronté à un retour possible de la monarchie, provoque un coup d’État, avec l’aide de l’armée, le 4 septembre 1797 (18 Fructidor an V). Trois semaines plus tard, les conjurés sont déportés en Guyane et les élections sont annulées.
Napoléon Bonaparte ne se laissera pas entraîner dans les émois parisiens. Il a maintenant de plus grandes ambitions. Ses victoires en Italie le mettent à l’abri des secousses parisiennes. Il entrevoit de suivre le chemin d’Alexandre le Grand, vers des horizons orientaux. Il écrit au ministère des Relations extérieures pour solliciter l’approbation de son projet.
Sa relation, avec son épouse Joséphine, est de plus en plus compliquée. Il lui communique, tous les jours, par écrit sa jeune fougue, sa passion et ses actions militaires. Elle lui répond, dans ses rares moments de temps libre, sur un ton confirmant sa modeste motivation. Infidèle et légère, elle ne vit que pour les salons, les bals et les costumes.
En 1798, le général Bonaparte est à Paris et il profite de quelques mois de disponibilité pour s’intéresser aux sciences, aux mathématiques, à la physique, la chimie, à l’histoire naturelle et à la métaphysique.
Il rencontre et discute avec des savants, dans chacune de ces disciplines. En mathématique, il parle avec Laplace et Lagrange ; en géométrie il échange avec Monge. Tout comme en physique et chimie, il rencontre Berthollet et en histoire naturelle, il savoura les débats avec Geoffroy Saint Hilaire. Il sera élu à l‘Institut de France à la place de Carnot, l’un des cinq directeurs du Directoire, déchu après le coup d’État du 4 septembre 1797 (18 fructidor an V).
Le général Bonaparte rencontra en 1798 des personnes influentes, qui vont participer à la réussite de son expédition d’Égypte, mais aussi en 1799, à la réalisation du coup d’État du 18 Brumaire.
Parmi ces personnes, il faut citer Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, communément appelé Talleyrand. Celui-ci, issu de la haute noblesse française, présent dès le début des États généraux de 1789 en tant qu’évêque d’Autun, a été contraint de s’exiler provisoirement en Amérique et en Angleterre, après la découverte de l’armoire en fer, dans les appartements de Louis XVI, car son nom figurait parmi les correspondants secrets du roi.
Avant son départ en exil, Talleyrand avait été élu à l’Institut de France en décembre 1795. Le 20 septembre 1796, son nom est supprimé de la liste des émigrés condamnés et de retour en France, il sera nommé, par Barras, en juillet 1797, ministre des Relations extérieures. Il conservera ce poste jusqu’en juillet 1799.
La seconde personne est Emmanuel-Joseph Sieyès. Lui aussi, était déjà présent aux États généraux de 1789. Personnage très actif dans la réalisation de la Révolution, dès le début de l’année 1789 et la rédaction de la première Constitution de 1791, il aura su se rendre discret et ainsi éviter les périodes de la « Terreur » et de la « Grande Terreur ». Emmanuel-Joseph Sieyès est pour la seconde fois élu directeur du Directoire, en mai 1799. Il est avec Paul Barras, l’un des cinq directeurs.
Grâce à Barras et à Talleyrand, qui ont validé son projet, le général Bonaparte sera envoyé en Égypte, le 19 mai 1798, à la tête d’un corps expéditionnaire, composé de 38 000 hommes, incluant des scientifiques (141 savants), des historiens et des artistes. La raison officielle invoquée par le Directoire, pour justifier cette expédition, est de perturber le trafic maritime des Anglais vers les Indes.
De tous les coalisés en guerre contre la France, il ne restait que l’Angleterre. La raison officieuse était double, d’une part, éloigner Bonaparte des intrigues parisiennes et plus particulièrement, celles mises en place par certains directeurs et les membres des Assemblées. D’autre part, profiter de ce que pourra expédier ce corps expéditionnaire, dans le trésor de l’État. La première Campagne d’Italie avait permis de renflouer les caisses de l’État, aussi, à Paris, on espérait renouveler l’opération avec cette Campagne d’Égypte.
L’Égypte est à l’époque, une province ottomane (sous tutelle de la Turquie) depuis le 15e siècle. L’Égypte a servi à enrichir l’Empire ottoman, en servant de base navale, aux expéditions contre les Portugais dans l’océan indien. Divers courants de populations composent l’Égypte en 1798. Les anciens maîtres du pays, les Mamelouks, sont devenus des esclaves affranchis, à la solde des Turcs. L’intervention des Français, pendant cette Campagne d’Égypte, changera profondément l’avenir de la population autochtone et aura des répercussions jusqu’au 21e siècle.
La flotte française, en direction de l’Égypte s’empara en chemin, de l’île de Malte, du 10 au 13 juin 1798. Ce qui aura pour conséquence le début de la construction de la seconde coalition anti-France, car Malte était sous la protection de la Russie. Cette flotte française arriva sur les côtes égyptiennes, le 1er juillet 1798. Bonaparte, à tête du corps expéditionnaire, entra dans Alexandrie le 21 juillet 1798, écrasa les Mamelouks (alliés et concurrents locaux des Turcs) à la bataille des Pyramides et prit Le Caire le 25 juillet 1798.
Pour cette expédition, Bonaparte s’était adjoint deux nouveaux lieutenants de haut niveau : Le général Louis Desaix, qui l’avait accompagné lors de l’inspection des côtes de la Manche, pour donner le change aux Anglais, et le général Jean-Baptiste Kléber, de l’armée du Rhin et de l’armée de Vendée. Il s’affectera aussi, comme aide de camp, Eugène de Beauharnais, le fils de Joséphine. C’est sur l’épaule de celui-ci que Bonaparte essayera de se consoler, après la confirmation par Junot, de la nouvelle infidélité de Joséphine, qui avait refusé de le suivre en Égypte.
La flotte française restée à l’embouchure du Nil, dans la rade d’Aboukir, sera défaite par la flotte anglaise, les 1er et 2 août 1798. Sans possibilité de retour en France par la mer, le corps expéditionnaire a été contraint de poursuivre leur conquête de l’Orient.
Le général Bonaparte tenta d’imposer une administration à « la française » dans toute l’Égypte. Il créa l’Institut d’Égypte au Caire, le 22 août 1798, grâce aux travaux des scientifiques français. Il fera réaliser plusieurs tableaux, par des artistes français, représentant des scènes de batailles, en Égypte.
À l’initiative des Anglais, une seconde coalition anti-France s’est construite à partir du 24 décembre 1798. La Russie, après la prise de Malte, par Bonaparte, et la Turquie après l’invasion de l’Égypte, par le corps expéditionnaire français, rejoignirent l’Angleterre. Cette nouvelle coalition portera la guerre en Europe et essayera de reprendre l’Égypte en passant, la première fois par la Syrie puis par la mer, grâce à la flotte anglaise.
Bonaparte, en février 1799, marche sur la Syrie, à la rencontre d’une armée turque. Il quitte Le Caire le 10 février 1799 et entre à Gaza, le 25 février 1799. Il prend Jaffa le 7 mars 1799, se porte ensuite sur Saint-Jean d’Acre qui résiste. Bonaparte bat une armée turque envoyée en secours au Mont-Thabor, le 16 avril 1799. La peste, qui s’est invitée dans ses troupes lors du siège de Saint-Jean d’Acre, le contraint à la retraite vers Le Caire.
Une seconde armée turque, débarquée en Égypte, le 17 juillet 1799, grâce à la flotte anglaise, est battue par les Français le 25 juillet 1799, à Aboukir.
2.12 Général Bonaparte et le retour précipité en France
Les nouvelles, très mauvaises, en provenance de France, vont obliger Bonaparte à quitter discrètement l’Égypte, le 22 août 1799, laissant le corps expéditionnaire sur place avec le général Kléber à sa tête. Il n’emmènera avec lui que sept de ses fidèles : Berthier, Lannes, Murat, Monge, Berthollet, Bourrienne et Roustan.
La seconde coalition anti-France s’était enrichie de l’Autriche, de la Suède, du royaume des Deux-Siciles et de quelques princes prussiens. En France, la situation économique était dramatique. Les armées de la République française en Italie et en Belgique étaient sur le point d’être battues et expulsées des territoires conquis par Bonaparte, lors de la première Campagne d’Italie.
Le bateau, qui transportait Bonaparte, en provenance d’Égypte, surnommé « Muiron » en souvenir de son ami Jean-Baptiste Muiron, mort à la bataille d’Arcole, en lui sauvant la vie, accosta dans la baie de Fréjus Saint-Raphaël, le 8 octobre 1799. Bonaparte prit immédiatement la route de Paris.
La nouvelle de son arrivée en France se propagea rapidement jusqu’à Paris. Cette nouvelle bouscula les esprits déjà en effervescence dans les deux Assemblées. Lucien Bonaparte, frère cadet de Napoléon, et député de Corse à l’Assemblée des cinq-cents, est alors porté triomphalement à la présidence.
Cette nouvelle arriva à Paris, en même temps que celle de la victoire du général Masséna à Zurich (25-26 septembre 1799), face aux armées de la seconde coalition russo-autrichienne, et la victoire du général Brune à Bergen (Hollande – le 19 septembre 1799), face aux coalisés russo-britanniques.
Bonaparte arrive à Paris, le 16 octobre 1799, et retrouve une ville qui complote contre le Directoire. La situation économique est catastrophique. Le pays est ruiné, les fonctionnaires comme les militaires ne sont plus payés. La famine sévit partout dans la capitale.
3. Général Bonaparte et le coup d’État
Emmanuel-Joseph Sieyès, qui comptait des partisans dans la première Assemblée, le Conseil des Anciens, apprit ces nouvelles avec une certaine joie, car il va enfin pouvoir poursuivre la préparation du coup d’État, qu’il envisageait depuis quelques semaines. Il lui reste à obtenir l’approbation des autres directeurs du Directoire et celle de Napoléon Bonaparte.
Emmanuel-Joseph Sieyès avait besoin d’une « épée » (général avec une forte renommée) pour mettre en place son coup d’État, par la force et ainsi imposer sa nouvelle Constitution. Il avait envisagé d’utiliser le général Joubert, mais celui-ci a été tué à la bataille de Novi, le 15 août 1799. Le retour de Napoléon Bonaparte tombe à pic, tout comme la nomination de Lucien Bonaparte à la présidence de l’Assemblée des cinq-cents.
Mais pour ce projet de coup d’État, par Emmanuel-Joseph Sieyès, le temps joue contre lui, car la présidence du Directoire est passée entre les mains du directeur Louis Gohier (jacobin), depuis le 23 septembre 1799.
Emmanuel-Joseph Sieyès, pour appliquer son plan et gagner la confiance du Directoire, met dans la confidence Talleyrand, le ministre des Affaires étrangères, Cambacérès, le ministre de la Justice, Fouché, le ministre de la Police, Lucien Bonaparte, Président du Conseil des cinq-cents et le général Moreau. Il écarta de son projet, Jean-Baptiste Bernadotte, ministre de la Guerre, seul général susceptible d’être contre Bonaparte.
Sous le prétexte de déjouer un complot, il a été décidé, de transférer les Assemblées au château de Saint-Cloud et les autres généraux ont mis Paris en état de siège : Lannes tient les Tuileries où sont encore les Assemblées, Marmont à l’École militaire, Macdonald est à Versailles, Moreau protège le palais du Luxembourg, Murat commande la garnison au château de Saint-Cloud.
Talleyrand, proche du directeur Paul Barras, le persuada de se retirer du projet et ainsi permettre le succès de l’opération. En effet, Emmanuel-Joseph Sieyès avait prévu de donner une place importante dans la future Constitution au troisième directeur Pierre-Roger Ducos. Il avait donc trois des cinq directeurs du Directoire en soutien à son projet. Il restait à convaincre les membres de l’Assemblée des cinq-cents et se débarrasser des deux directeurs « jacobins ».
Le 9 novembre 1799 (18 Brumaire an VIII), Napoléon Bonaparte est nommé commandant des troupes de Paris par le Conseil des Anciens et les deux directeurs « jacobins » du Directoire, Louis Gohier et Jean-François Moulin, sont arrêtés.
Les députés « jacobins » sont majoritaires au sein de l’Assemblée des cinq-cents. Aussi, après l’arrestation des deux directeurs jacobins, ceux-ci résistent au transfert vers Saint-Cloud et l’expriment avec véhémence, mais finissent par s’y résoudre.
Le 10 novembre 1799 (19 Brumaire an VIII), Napoléon Bonaparte se présenta à Saint-Cloud, devant le Conseil des Anciens où il fit un discours maladroit, voire incohérent. Il fut conspué par quelques députés, qui le traitaient de « nouveau César ». Surpris et décontenancé, Bonaparte leur répondit brièvement et sans autorité.
Il se rendit ensuite à l’orangerie du château de Saint-Cloud, où se tenait transférée l’Assemblée des cinq-cents. Là, les députés étaient nettement plus violents et injurieux vis-à-vis du jeune général Bonaparte. Ils voulaient le déclarer « hors la loi ». Certains le menaçaient de coups et le bousculaient.
Fort heureusement, Lucien Bonaparte, bien que président de cette Assemblée, après s’être esquivé de la salle en voyant son frère violemment menacé, est allé haranguer les grenadiers de Murat, présents dans le parc du château. Ceux-ci sont intervenus avec autorité, en menaçant d’utiliser leurs armes, pour exfiltrer le jeune général qui peinait à s’imposer au milieu de cette foule déchaînée. Bonaparte fut très marqué par cette expérience malheureuse. Les députés, effrayés de cette intervention de force, se sauvèrent de l’orangerie.
Les militaires en récupérèrent une centaine, qu’ils obligèrent à revenir à l’orangerie. Là, réunis dans la salle qu’ils venaient de quitter, tout comme les députés du Conseil des Anciens, votèrent un « Acte d’urgence » qui établit les bases d’un nouveau régime.
Dissolution du Directoire et création de Deux Commissions de vingt-cinq membres, une par Assemblée. Celles-ci seront chargées de réviser une nouvelle Constitution. Une autre Commission consulaire, de trois membres nommés, à qui les députés présents confient la responsabilité du pouvoir exécutif : Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos. Chacun d’eux portera le titre de Consul de la République française.
Profondément marqué par cette journée, Napoléon Bonaparte s’est remémoré les années difficiles à l’école militaire de Brienne, où il était continuellement conspué, moqué et écarté, car il ne faisait pas partie de « l’entre-soi » aristocratique.
Le 19 Brumaire, il a ressenti le même rejet, au milieu des deux Assemblées. En effet, les deux Assemblées étaient très majoritairement composées de députés de l’ancienne aristocratie (seul, l’usage des titres de noblesse : marquis, vicomte, comte ou duc étaient remplacés par « citoyen »). Les autres députés étaient, soit issus de la noblesse de robe (magistrats, avocats), ayant été biberonnés par les philosophes des « Lumières » pour les « jacobins », soit issus de la bourgeoisie et se plaisaient à « singer » la noblesse.
On sait, par l’étude des listes des élus et de leur nom, que les premières Assemblées depuis 1789 à 1795 étaient composées majoritairement de députés issus de la noblesse et surtout de la noblesse de robe (membres des parlements, magistrats, avocats, juges, officiers d’État, etc…). Mais depuis la mise en place de la dernière Constitution de 1795, la composition des Assemblées (Conseil des Anciens, Conseil des cinq-cents) avait fortement évolué par l’intégration de membres de l’aristocratie (noblesse d’épée), envisageant un retour de la monarchie.
L’utilisation depuis 1789, pour les élections des députés, du mode de scrutin « censitaire » (il faut être riche pour voter et les électeurs votent obligatoirement pour des personnes encore plus riches qu’eux), a maintenu le profil des députés élus et favorisé « l’entre-soi ». On verra, lors de l’étude des prochaines Républiques, y compris au 21ème siècle, que ce procédé de « l’entre-soi » restera appliqué et protégé.
Pour Bonaparte, qui avait tout perdu pour la République (sa famille, son père, la Corse, sa jeunesse, sa vie compliquée en garnison, ses blessures sur le champ de bataille, ses amis morts avec courage sur les champs de bataille), s’est senti à nouveau rejeté, après tout ce qu’il avait fait en effort et concession. Ce 19 Brumaire (10 novembre 1799), il avait aussi compris qu’il ne pourrait pas travailler avec ces « politiciens » corrompus et avides de leurs privilèges, que sont les députés et même les directeurs du Directoire.
Il n’avait pas rencontré ce problème de communication, avec les militaires, qu’il avait côtoyés pendant les Campagnes d’Italie et d’Égypte. Au contraire, il partageait avec eux les pénuries, les souffrances et la perte de frères d’arme. Il dormait souvent, comme eux, à même la paille, dans le froid et sous la pluie. C’est, de cette proximité non forcée, que les grognards l’avaient amicalement surnommé « le Petit Caporal ».
L’évidence s’imposait alors à ses yeux. Il ne pourra pas gouverner avec ces politiciens parisiens. Il devait immédiatement communiquer avec le peuple français et faire connaître au plus vite sa vision des événements récents.
Aussi, il fera imprimer sa version et la fera afficher partout en France. D’autre part, il menacera Emmanuel-Joseph Sieyès et Pierre-Roger Ducos (les deux autres Consuls), comme il l’avait déjà fait, lors de la Campagne d‘Italie, de se retirer à la vie civile, s’il n’était pas nommé Premier Consul, avec tous les pouvoirs exécutifs.
Emmanuel-Joseph Sieyès va céder et inscrira la nomination de Bonaparte Premier Consul, avec tous les pouvoirs exécutifs, dans la prochaine Constitution du 22 Frimaire an VIII (13 décembre 1799).
4. Acte d’urgence du 19 Brumaire an VIII
L O I du 19 Brumaire an VIII
de la République française, une et indivisible.
Le Conseil des Anciens, adoptant les motifs de la déclaration d’urgence qui précède la résolution ci-après, approuve l’acte d’urgence.
Le Conseil des cinq-cents, considérant la situation de la République, déclare l’Urgence, et prend la résolution suivante :
ARTICLE PREMIER
Il n’y a plus de Directoire : et ne sont plus membres de la Représentation nationale, pour les excès et les attentats auxquels ils se sont constamment portés, et notamment le plus grand nombre d’entre eux, dans la séance de ce matin, les individus ci-après nommés :
Joubert (de l’Hérault), Jouanne, Talot, Duplantier (de la Gironde), Aréna, Garau, Quirot, Leclerc-Scheppers, Brische, Poulain-Grandprey, Bertrand (du Calvados), Goupilleau (de Montaigu), Daubermesnil, Marquezy, Guesdon, Grandmaison, Groscassand-Dorimond, Frison, Dessaix, Bergasse-Lasiroulle, Montpellier, Constant (Bouches-du-Rhône), Briot, Destrem, Carrère-la-Garrière, Gorrand, Legot, Blin, Boulay-Paty, Souillié, Dentoor, Bigonnet, Mentor, Boissier, Bailly (Haute-Garonne), Bouvier, Brichet, Honoré Decleck, Housset, Gastaing (du Var), Laurent ( Bas-Rhin), Beitz, Prudhon, Porte, Truch, Delbrel, Leyris, Doche (de Lille), Stevenotte, Jourdan (Haute-Vienne), Lessage-Senault, Chalmel, André (Bas-Rhin), Dimartinelli, Colombel (de la Meurthe), Philippe, Moreau (de l’Yonne), Jourdain (Ile-et-Vilaine), Letourneux, Citadella, Bordas.
ARTICLE II
Le Corps législatifs crée provisoirement une Commission consulaire exécutive, composée des Citoyens Sieyès, Roger-Ducos, ex-directeurs et Bonaparte, général, qui porteront le nom de Consuls de la République française.
ARTICLE III
Cette Commission est investie de la plénitude du pouvoir directorial, et spécialement chargée d’organiser l’ordre dans toutes les parties de l’administration, de rétablir la tranquillité intérieure, et de procurer une paix honorable et solide.
ARTICLE IV
Elle est autorisée à envoyer des délégués, avec un pouvoir déterminé, et dans la limite du sien.
ARTICLE V
Le Corps législatif s’ajourne au 1er Ventôse prochain : il se réunira de plein droit à cette époque, à Paris, dans ses Palais.
ARTICLE VI
Pendant l’ajournement du Corps législatif, les membres ajournés conservent leur indemnité, et leur garantie constitutionnelle.
ARTICLE VII
Ils peuvent, sans perdre leur qualité de Représentants du Peuple, être employés comme ministres, agents diplomatiques, délégués de la Commission consulaire exécutive, et dans toutes les autres fonctions civiles. Ils sont même invités, au nom du bien public, à les accepter.
ARTICLE VIII
Avant sa séparation, et séance tenante, chaque Conseil nommera dans son sein une commission composée de vingt-cinq membres
ARTICLE IX
Les commissions nommées par les deux Conseils, statueront, avec la proposition formelle et nécessaire de la Commission consulaire exécutive, sur tous les objets urgents de police, de législation et de finances.
ARTICLE X
La commission des Cinq-Cents exercera l’initiative ; la commission de Anciens, l’approbation.
ARTICLE XI
Les deux commissions sont encore chargées de préparer dans le même ordre de travail et de concours, les changements à apporter aux dispositions organiques de la Constitution, dont l’expérience a fait sentir les vices et les inconvénients.
ARTICLE XII
Ces changements ne peuvent avoir pour but que de consolider, garantir et consacrer inviolablement la souveraineté du Peuple français, la République une et indivisible, le système représentatif, la division des pouvoirs, la liberté, légalité, la sûreté et la propriété.
ARTICLE XIII
La Commission consulaire exécutive pourra leur présenter ses vues à cet égard.
ARTICLE XIV
Enfin, les deux commissions sont chargées de préparer un code civil.
ARTICLE XV
Elles siégeront à Paris dans les palais du Corps législatif ; et elles pourront les convoquer extraordinairement pour la ratification de la paix, ou dans un plus grand danger public.
ARTICLE XVI
La présente sera imprimée, envoyée par des courriers extraordinaires dans les départements, et solennellement publiée et affichée dans toutes les communes de la République.
Signé : LUCIEN BONAPARTE, président ; EMILE GAUDIN, BARA, secrétaires
Après une seconde lecture, le Conseil des Anciens APPROUVE la résolution ci-dessus. A Saint-Cloud, le 19 Brumaire, an VIII de la République française.
Signé : JOSEPH CORNUDET, ex-président, HERWIN, P.C. LAUSSAT, ex-secrétaires
Les Consuls de la République française ordonnent que la loi ci-dessus sera publiée, exécutée, et qu’elle munie du sceau de la République.
Fait au palais national des Consuls de la République française, le 20 Brumaire an VIII, de la République.
Signé : ROGER-DUCOS, BONAPARTE, SIEYÈS.
5. Proclamation du général en chef Bonaparte
PROCLAMATION
DU GÉNÉRAL EN CHEF
BONAPARTE
Le 19 Brumaire, onze heures du soir.
A mon retour à Paris, j’ai trouvé la division dans toutes les Autorités, et l’accord établi sur cette seule vérité, que la Constitution était à moitié détruite et ne pouvait sauver la liberté.
Tous les partis sont venus à moi, m’ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m’ont demandé mon appui : j’ai refusé d’être l’homme d’un parti.
Le Conseil des Anciens m’a appelé ; j’ai répondu à son appel. Un plan de restauration générale avait été concerté par des hommes en qui la nation est accoutumée à voir des défenseurs de la liberté, de l’égalité, de la propriété : ce plan demandait un examen calme, libre, exempt de toute influence et de toute crainte. En conséquence, le Conseil des Anciens a résolu la translation du Corps législatif à Saint-Cloud; il m’a chargé de la disposition de la force nécessaire à son indépendance. J’ai cru devoir à mes concitoyens, aux soldats périssant dans nos armées, à la gloire nationale acquise au prix de leur sang, d’accepter le commandement.
Les Conseils se rassemblent à Saint-Cloud ; les troupes républicaines garantissent la sûreté au dehors. Mais des assassins établissent la terreur au dedans ; plusieurs Députés du Conseil des Cinq-cents, armés de stylets et d’armes à feu, font circuler tout autour d’eux des menaces de mort.
Les plans qui devaient être développés, sont resserrés, la forte majorité désorganisée, les Orateurs les plus intrépides déconcertés, et l’inutilité de toute proposition sage évidente.
Je porte mon indignation et ma douleur au Conseils des Anciens ; je lui demande d’assurer l’exécution de ses généreux desseins ; je lui représente les maux de la Patrie qui les lui ont fait concevoir : il s’unit à moi par de nouveaux témoignages de sa constante volonté.
Je me présente au Conseil des Cinq-cents ; seul, sans armes, la tête découverte, tel que les Anciens m’avaient reçu et applaudi ; je venais rappeler à la majorité ses volontés et l’assurer de son pouvoir.
Les stylets qui menaçaient les Députés, sont aussitôt levés sur leur libérateur; vingt assassins se précipitent sur moi et cherchent ma poitrine : les Grenadiers du Corps législatif, que j’avais laissés à la porte de la salle, accourent, se mettent entre les assassins et moi. L’un de ces braves Grenadiers (Thomé) est frappé d’un coup de stylet dont ses habits sont percés. Ils m’enlèvent.
Au même moment, les cris de hors la loi se font entendre contre le défenseur de la loi. C’était le cri farouche des assassins, contre la force destinée à les réprimer. Ils se pressent autour du président, la menace à la bouche, les armes à la main ; ils lui ordonnent de prononcer le hors la loi : l’on m’avertit ; je donne ordre de l’arracher à leur fureur, et six Grenadiers du Corps législatifs s’en emparent. Aussitôt après, des Grenadiers du Corps législatif entre au pas de charge dans la salle, et la font évacuer.
Les factieux intimidés se dispersent et s’éloignent. La majorité, soustraite à leurs coups, rentre librement et paisiblement dans la salle de ses séances, entend les propositions qui devaient lui être faites pour le salut public, délibère, et prépare la résolution salutaire qui doit devenir la loi nouvelle et provisoire de la République.
Français, vous reconnaîtrez sans doute, à cette conduite, le zèle d’un soldat de la liberté, d’un citoyen dévoué à la République. Les idées conservatrices, tutélaires, libérales, sont rentrées dans leurs droits par la dispersion des factieux qui opprimaient les Conseils, et qui, pour être devenus les plus odieux des hommes, n’ont pas cessé d’être les plus méprisables.
BONAPARTE
Pour copie conforme : Alex. BERTHIER
A PARIS, DE L’IMPRIMERIE DE LA RÉPUBLIQUE.
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