Déclaration de guerre

1. Contexte précédant cet épisode.

L’Assemblée Nationale Législative (ou Assemblée Législative) a remplacé l’Assemblée Nationale Constituante. Tous les députés de la nouvelle Assemblée sont nouveaux et arrivent dans un environnement tumultueux, régi par la Constitution de 1791, dans laquelle sont définies les règles de fonctionnement du nouveau régime « monarchiste constitutionnel ».

Le roi y a sa place clairement définie, avec des pouvoirs très limités, et l’Assemblée a la responsabilité du pouvoir législatif. Les élections des nouveaux députés ont donné lieu à une abstention record de 77 % et ont mis en place au sein de l’Assemblée de très nombreux députés « révolutionnaires », qui souhaitent déchoir le roi et mettre en place au plus vite une République.

Une nouveauté majeure a été ajoutée de fait dans le fonctionnement de cette Assemblée Nationale Législative, par rapport au fonctionnement de l’Assemblée Nationale Constituante, c’est que, contrairement à ce qui est prévu dans la Constitution de 1791, les Clubs ont obtenu un pouvoir législatif. Toutes les propositions de lois se préparent et se discutent au sein de ces clubs, par leurs membres, avant d’être votées ou rejetées par les députés de l’Assemblée Nationale Législative.

En accordant un pouvoir législatif, à l’extérieur de l’Assemblée, à des personnes non élues, on peut dire que l’Assemblée, à juste titre, peut s’appeler uniquement Assemblée Législative et que les lois ainsi préparées puis votées correspondent uniquement à la volonté des gauches révolutionnaires parisienne, devenues majoritaires au sein des Clubs.

Une majorité des anciens députés les plus virulents de l’Assemblée Nationale Constituante, tout comme ceux de la nouvelle Assemblée Législative, sont membres actifs au sein de ces clubs. Ce principe de préparation des lois n’est pas conforme à la Constitution de 1791 et ne représente aucunement la volonté générale du peuple de France, mais celles-ci s’imposeront à tous, par la violence.

Ce fonctionnement va accélérer la suppression de la monarchie, la mise en place de la « Terreur » via de nouveaux tribunaux et engendrer des milliers de morts au début, à Paris puis dans toute la France.

Louis XVI, installé et étroitement surveillé dans sa prison « dorée » du château des Tuileries, souffrait des humiliations constantes que lui infligeaient la nouvelle Assemblée et le peuple parisien. Il défendait scrupuleusement les textes et prérogatives que lui avait reconnues la Constitution de 1791. Dans tout le pays, les tensions économiques et sociales s’étaient encore aggravées.

Hostiles, à juste titre, aux bourgeois et à leur politique libérale, les « sans-culottes » (compagnons, ouvriers, petits artisans, boutiquiers des quartiers populaires parisiens), réclamaient avec véhémence et parfois avec violence, la taxation des denrées. Ceux-ci étaient appelés « sans-culottes », parce qu’ils portaient des pantalons à rayures bleues et blanches, au lieu des culottes courtes et des bas, qui eux étaient couramment portés par les bourgeois et les nobles.

Cette étrange tenue, pour l’époque, souvent complétée par un « bonnet phrygien » teint en rouge et une veste couleur sang, appelée « carmagnole«  deviendra rapidement le costume de protestation des « patriotes » et des révolutionnaires purs et durs. Cette tenue représentative et symbolique sera rapidement copiée et portée dans toute la France, par des avocats, des commerçants, des employés, des artisans et même par des bourgeois. Les « sans-culottes »  imposeront le tutoiement général et le remplacement des appellations « Monsieur, Madame » par « Citoyen, Citoyenne ».

La tension est de plus en plus vive entre les membres des différents clubs, mais aussi entre les députés de la nouvelle Assemblée Législative. Les « révolutionnaires » composent un petit monde, avec ses idéalistes, ses corrompus, ses vaniteux, ses rivaux et/ou complices et ses serviteurs de l’ombre. Tout est malsain à Paris, l’ambiance, les individus comme leurs conspirations, les fausses déclarations et les accusations.

Les « révolutionnaires » parisiens, ayant perçu la tentative d’évasion du roi en juin 1791 comme une trahison, souhaitent modifier la Constitution de 1791 pour supprimer la monarchie. L’ambiance parisienne faisait de nombreux émules en province ; aussi, le roi et sa famille subissaient continuellement injures et menaces.

À l’extérieur de la France, les très nombreux émigrés français, nobles ou du haut clergé, faisaient pression sur l’empereur du Saint-Empire Léopold II, frère de la reine Marie-Antoinette, pour qu’il intervienne en faveur de la famille royale. Léopold II, qui s’était rapproché du roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, a fini par céder, sans enthousiasme, à leur demande en signant le 27 août 1791, la « Déclaration de Pillnitz ».

Ce document, corédigé par le Comte d’Artois, frère cadet de Louis XVI, futur Charles X, et « Monsieur », Comte de Provence, frère puîné de Louis XVI, le futur Louis XVIII, signé par Léopold II et Frédéric-Guillaume II au château de Pillnitz en Saxe, est adressé à Louis XVI. Le contenu de cette « Déclaration », dont une copie est reprise ci-dessous, va mettre le feu « aux poudres » au sein des « gauches révolutionnaires parisiennes » et sera intentionnellement perçu comme une menace pour la Révolution en cours.

Pour Léopold II, Frédéric-Guillaume II et la tsarine Catherine II de Russie, la situation en France est plutôt une aubaine, qui permet à chacun d’eux d’être tranquille pour gérer leurs extensions territoriales, sans avoir l’intervention de la France, comme dans le passé. Ainsi, les trois pays peuvent, en toute quiétude, se partager les territoires de la Pologne, devenue une proie aisée.

D’autre part, une France affaiblie permet d’envisager une extension de son territoire à l’ouest pour le roi de Prusse. L’empereur Léopold II n’est pas du tout motivé pour une intervention militaire en France.

Enfin, il faut aussi souligner que la situation de plus en plus compliquée de Louis XVI, prisonnier au château des Tuileries, est une bonne opportunité pour ses frères, les futurs Louis XVIII et Charles X. Louis XVI, le sait bien, puisqu’il se méfiait déjà de son frère puîné dit « Monsieur », le futur Louis XVIII lors de sa tentative d’évasion vers Montmédy, en l’impliquant dans sa « Déclaration à tous les Français » pour éviter que ce dernier ne tente un renversement auprès de l’Assemblée après son départ.

On peut donc à juste titre se poser les questions suivantes ; quel est le véritable bénéficiaire des conséquences du document de Pillnitz ? Qu’entraînera-t-il au milieu de l’Assemblée Nationale Constituante en fin de mandat, au sein de la nouvelle Assemblée Législative, dans les clubs et au sein de ce peuple révolutionnaire ? Ce qui est sûr, ce n’est pas au bénéfice de Louis XVI, comme on va le voir dans la suite des événements.

 

Texte de la Déclaration de Pillnitz :

« Sa Majesté l’empereur et Sa Majesté le roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et M. le Comte d’Artois, déclarent conjointement qu’elles regardent la situation où se trouve Sa Majesté le roi de France comme un objet d’un intérêt commun à tous les souverains de l’Europe. Elles espèrent que cet intérêt ne peut manquer d’être reconnu par les puissances dont le secours est réclamé, et qu’en conséquence elles ne refuseront pas, conjointement avec leursdites Majestés, les moyens les plus efficaces relativement à leurs forces, pour mettre le roi de France en état d’affermir, dans la plus parfaite liberté, les bases d’un gouvernement monarchique également convenable aux droits des souverains et au bien-être des Français. Alors, et dans ce cas, leursdites Majestés sont décidées à agir promptement et d’un commun accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le but proposé et commun. En attendant, elles donneront à leurs troupes les ordres convenables pour qu’elles soient à portée de se mettre en activité. »

Signé

Louis Stanislas Xavier Bourbon, Charles Philippe Comte d’Artois Bourbon,

Lettre de Monsieur et de M. le Comte d’Artois au Roi leur frère, 1791

 

2. Conséquences et suite des événements

À Paris, le contenu de ce document adressé au roi ne passe pas inaperçu et dans l’ambiance délétère générale, certains députés « Girondins » (originaires de Bordeaux ou de la Gironde) et « Brissotins » (compagnons du député Brissot), désireux de radicaliser la Révolution, vont utiliser ce texte, pourtant neutre et peu contraignant, traduisant seulement l’attentisme des autres monarchies d’Europe, comme une véritable déclaration de guerre.

Sous leur influence, l’Assemblée Législative va durcir sa politique nationaliste et annexionniste. Elle adopta plusieurs décrets qui imposeront, d’une part, l’ordre de retour immédiat en France de tous les émigrés, y compris du comte de Provence (l’un des corédacteurs de la Déclaration de Pillnitz et futur Louis XVIII), sous peine de condamnation à mort et de confiscation de leurs biens.

D’autre part, un des trois décrets réitérait aux ecclésiastiques l’obligation de prêter serment à la Constitution civile du clergé, faute d’être déclarés rebelles à la Loi et à la Nation et condamnés à la peine capitale ou à la déportation aux bagnes.

La violence de ces décrets était aussi un piège destiné à tester le roi. Si celui-ci s’y oppose par son pouvoir de veto suspensif, il sera perçu comme un frein à la Révolution et donc déclaré traître à la Constitution de 1791, ce qui pourrait permettre aux députés « révolutionnaires » de faire valider une demande de sa déchéance.

Louis XVI ne se laissa pas intimider et accepta le décret visant le comte de Provence, qui après tout, était à l’origine de la « Déclaration de Pillnitz », mais trouvant trop rigoureux ceux visant tous les émigrés français et les prêtres réfractaires, il y opposa son veto.

Louis XVI, constatant la volonté délibérée et permanente de l’Assemblée Législative de le déstabiliser, proposa, en vain, la mise en place d’un congrès des principales puissances européennes « menaçant » la France révolutionnaire, pour éviter la guerre.

Dans l’esprit des « Girondins » et des « Brissotins »  cette guerre possible avec les autres puissances d’Europe avait pour but principal de tester Louis XVI et l’inciter à se démasquer, pour pouvoir le renverser et proclamer enfin la République.

On notera ici que ce simple document (la Déclaration de Pillnitz), anodin et nullement menaçant vis-à-vis de la France, va progressivement atteindre son but à l’extérieur de la France, pour les frères du roi et en France, pour les « révolutionnaires » c’est, se débarrasser de Louis XVI.

En mars 1792, Louis XVI, n’ayant plus aucun moyen de résister à la pression de l’Assemblée Nationale Législative et des « révolutionnaires parisiens » va renvoyer ses ministres et mettre en place un ministère de combat. Il validera, le mois suivant, la déclaration de guerre préparée par ce ministère et adressée à François II « roi de Bohême et de Hongrie » le successeur de Léopold II, mort le 1er mars 1792.

Ce qui était évidemment prévisible arriva. L’armée française, composée de 120 000 hommes seulement, ayant vu partir depuis 1789, pour l’émigration, plus de 6 000 officiers (soit les 2/3 des officiers français), rongée par l’indiscipline et la pauvre compétence de ceux qui sont restés, va connaître dès les premiers mois, de nombreux revers face à l’armée du duc de Brunswick avec ses 80 000 hommes, dont 5 000 émigrés français.

La France vient de s’engager dans un conflit qui durera vingt-trois ans et s’achèvera par la défaite de Waterloo et l’occupation du pays. Le 3 juillet 1792, la Prusse, y voyant un intérêt d’extension de son territoire, se ralliera à l’Autriche-Hongrie. Ils seront rejoints par l’Angleterre le 1er février 1793, lorsque celle-ci verra son commerce menacé avec la Belgique et la Hollande après la déclaration de guerre de la France.

 

3. Chronologie des événements

Le 27 août 1791, la « Déclaration de Pillnitz », adressée à Louis XVI, est signée.

Le 21 septembre 1791, l’Assemblée Législative reconnut le rattachement à la France du Comtat Venaissin (région autour d’Avignon, propriété des papes depuis plusieurs siècles), demandé par des assemblées de patriotes avignonnais à la légitimité plus que douteuse.

Le 9 novembre 1791, l’Assemblée Législative vote le décret contre les émigrés, dont le nombre s’est fortement accru depuis l’épisode de Varennes-en-Argonne. Elle somme tous les émigrés français de rentrer en France avant le 1er janvier 1792. Après cette date, l’émigration sera considérée comme un crime, passible de la peine de mort et de confiscation des biens.

Le 11 novembre 1791, Louis XVI présente à l’Assemblée Législative son veto au décret contre les émigrés.

Le 16 novembre 1791, le député Girondin Jérôme Pétion, avocat à Chartres, ancien député de l’Assemblée Nationale Constituante et ami de Robespierre, devient maire de Paris à la place de Jean Sylvain Bailly, mis en cause dans la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791.

Le 29 novembre 1791, l’Assemblée Législative vote le décret obligeant les ecclésiastiques à prêter serment à la Constitution civile du clergé, sous peine de perdre les pensions et traitements qu’ils perçoivent. La loi rend responsables des troubles religieux les prêtres réfractaires.

Le 29 novembre 1791, l’Assemblée Législative envoie un ultimatum aux électeurs de Trêves, de Mayence et des princes rhénans qui hébergent des émigrés français.

Le 19 décembre 1791, Louis XVI présente à l’Assemblée Législative son veto au décret contre les prêtres réfractaires.

Le 6 janvier 1792, l’empereur Léopold II ordonne l’expulsion des émigrés français.

Le 20 avril 1792, Louis XVI, contraint depuis plusieurs mois, présente finalement à l’Assemblée Législative la déclaration de guerre, adressée à l’empereur François II et préparée par son ministère de combat, composé de « Girondins », dont l’ambitieux général Dumouriez et Roland de la Platière.

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Pour lire la suite voir le chapitre « La Terreur »…