Louis-Philippe 1er
1. Biographie
Louis-Philippe d’Orléans est né le 6 octobre 1773, au Palais-Royal de Paris. Ce palais, qui a été depuis Louis XV, la résidence de la famille des ducs d’Orléans, les cousins du roi de France, fut confisqué au moment de la Révolution de 1789 et rendu au duc d’Orléans par Louis XVIII, en 1814.
Louis-Philippe sera titré duc de Valois, de sa naissance jusqu’au décès de son grand-père en 1785. Après cette date, son père ayant « récupéré » le titre de duc d’Orléans, Louis-Philippe sera alors titré duc de Chartres.
Le 12 mai 1788, Louis-Philippe, alors âgé de 15 ans et titré duc de Chartres, sera baptisé dans la chapelle royale du château de Versailles, par l’évêque de Metz, grand aumônier de France. Il aura comme « parrain » le roi Louis XVI et « marraine » la reine Marie-Antoinette. Un curieux présage pour lui-même et pour son père devenu Louis Philippe-Égalité pendant la Révolution. Ce dernier sera guillotiné quelques mois après Louis XVI.
Louis-Philippe aura deux frères. Le premier sera son frère puîné Antoine-Philippe d’Orléans né à Paris, le 3 juillet 1775 et titré duc de Montpensier. Le second sera Louis-Charles d’Orléans, né à Paris, le 7 octobre 1779 et titré comte de Beaujolais.
Bien avant le début de la Révolution de 1789, Louis-Philippe, âgé alors de 16 ans, influencé par la pédagogie « rousseauiste » de sa gouvernante et maîtresse de son père, Félicité du Crest, comtesse de Genlis, partagera les idées révolutionnaires du moment avec son père, le duc d’Orléans. Ce dernier deviendra Louis Philippe-Égalité après les événements du 14 juillet 1789, pour essayer de « masquer » ses origines aristocratiques et sa trop grande proximité familiale avec Louis XVI.
Louis-Philippe conseillera pourtant son père, en vain, de ne pas voter la mort de Louis XVI en janvier 1793. Fervent partisan de la Révolution de 1789, Louis-Philippe, alors encore titré duc de Chartres, sera membre du Club des Jacobins dès les débuts. Pour mémoire, rappelons ici que c’est pourtant dans ce Club, essentiellement fréquenté par l’extrême « gauche » parisienne, que naîtront la « Terreur » et les plus virulents révolutionnaires.
Entamant une carrière militaire dans les rangs des armées de la Révolution, probablement grâce à l’influence de son père, il prendra le 1er juin 1791 le commandement en tant que colonel du 14ème régiment de cavalerie. Il est alors âgé de 18 ans seulement. L’année suivante, promu maréchal de camp puis lieutenant général, il participera aux « batailles » de Valmy et de Jemappes.
Grâce à Danton, devenu premier personnage du régime révolutionnaire, il poursuivra sa carrière militaire, sous les ordres du général Dumouriez. Ce dernier influencera sensiblement les idées révolutionnaires de Louis-Philippe, dans l’espoir d’installer à la tête du pays une monarchie constitutionnelle.
Hélas, son père n’aura pas suivi son conseil en participant au vote nominal de janvier 1793. Philippe-Égalité s’exprimera en faveur de la condamnation à mort de Louis XVI, pourtant son cousin. Louis-Philippe devra supporter les vives critiques des officiers français émigrés, depuis le début de la Révolution.
Cela lui portera particulièrement préjudice en avril 1793, lorsqu’il émigrera lui-même en Belgique, avec son chef le général Dumouriez, après la tentative de putsch contre la Convention.
Dumouriez et Louis-Philippe rejoindront alors les Autrichiens en avril 1793, face aux armées de la Révolution française. Cette trahison, les révolutionnaires parisiens en tiendront compte, après l’arrestation de Philippe-Égalité, le père de Louis-Philippe, qu’ils enverront à l’échafaud en novembre 1793. Ses deux frères seront emprisonnés.
Louis-Philippe, à la suite de son émigration en Belgique, voyagea durant plusieurs années, en commençant par la Suisse puis Hambourg, la Scandinavie, la Laponie, Philadelphie et la Havane pour finir par s’installer à Londres en janvier 1800.
Le Directoire acceptera de libérer les deux frères de Louis-Philippe sous la condition que celui-ci et ses frères émigrent aux États-Unis. Ce qui sera fait en 1796, les trois frères s’installeront à Philadelphie. En 1809, après une vague tentative de mariage avec la fille du roi d’Angleterre George III, il se réfugie en Sicile où il épouse Amélie de Bourbon, la fille du roi des Deux-Siciles, Ferdinand 1er. Le couple aura dix enfants.
Les aristocrates, émigrés ou non, qui ont pris le parti de défendre la branche des Bourbons « légitimes » devant succéder à Charles X, voyaient d’un très mauvais œil la tentative de prise du pouvoir par un membre de la famille des ducs d’Orléans, la branche cadette des Bourbons, donc non « légitimes« .
À partir de ce moment, une lutte permanente entre les « légitimistes » et les « orléanistes » concernant le pouvoir du pays va perdurer près de deux siècles. Cette querelle va s’amplifier après la nomination de Louis-Philippe 1er, même si celui-ci ne sera que roi des Français et non roi de France, comme il l’espérait naïvement. Pour les Français, un grand changement de condition va s’opérer, ils ne seront plus « sujets du roi » mais de simples « citoyens ».
D’après Jean-Christian Petitfils, dans son ouvrage « Histoire de la France » de 2018 : Claire Élisabeth de Vergennes, comtesse de Rémusat (1780-1821) parlait de Louis-Philippe en ces termes : « Il est du sang des Bourbons, et il en est couvert ! ». Certes, si cette description se justifiait plus pour son père, le régicide Philippe-Égalité, pour avoir voté la mort de Louis XVI, Louis-Philippe recevra cette critique en héritage de son père décapité.
Après l’abdication de Napoléon en 1814, Louis-Philippe rentre en France et Louis XVIII, qui pourtant, se méfiait de lui à juste titre, lui octroie le titre de duc d’Orléans, perdu par son père après sa mort en novembre 1793. D’autre part, Louis XVIII lui rendra tous ses biens confisqués par la Révolution, y compris sa résidence principale, le Palais-Royal.
Louis-Philippe, sous le règne de Louis XVIII puis de Charles X, va sensiblement s’enrichir grâce au soutien et conseils de son avocat André Dupin et aux héritages de sa mère, décédée en 1821, et de sa tante, la duchesse de Bourbon décédée en 1822. Il acquit notamment le château de Neuilly en 1819.
2. La Charte de juin 1814 revisitée
La Charte du 4 juin 1814 sera légèrement modifiée par les deux Chambres et les « nouveaux » responsables de l’État. Elle portera le nom de Charte du 9 août 1830.
Les modifications portent principalement sur un retour vers un régime plus « révolutionnaire » et moins monarchique, avec des incidences sur la religion catholique, sur la liberté de la presse et la suppression de l’article 14 portant sur l’utilisation des ordonnances par le monarque.
Les articles de la Charte de 1830 qui diffèrent de ceux inclus dans la Charte de 1814 sont repris ci-dessous :
- L’article 6 de la Charte de 1814 est supprimé,
- L’article 6 de la Charte de 1830 était l’article 7 dans la Charte de 1814 et celui-ci est modifié ainsi ; « Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent des traitements du Trésor public »
- L’article 7 de la Charte de 1830 était l’article 8 dans la Charte de 1814 et celui-ci est modifié ainsi ; « Les Français ont le droit de publier et faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois. La censure ne pourra jamais être rétablie. »
- L’article 13 de la Charte de 1830 était l’article 14 dans la Charte de 1814 et celui-ci est modifié ainsi ; « Le roi est le chef suprême de l’État ; il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d’administration publique, et fait les ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes ni dispenser de leur exécution. Toutefois, aucune troupe étrangère ne pourra être admise au service de l’État qu’en vertu d’une loi. »
- Les articles 16 et 17 de la Charte de 1814 sont regroupés et modifiés ainsi dans l’article 15 de la Charte de 1830 : « La proposition des lois appartient au roi, à la Chambre des pairs et à la Chambre des députés. Néanmoins, toute loi d’impôt doit être votée par la Chambre des députés. »
- L’article 19 de la Charte de 1814 est supprimé.
- L’article 37 de la Charte de 1814 devient l’article 31 dans la Charte de 1830 et modifié ainsi ; « Les députés sont élus pour cinq ans. »
- L’article 38 de la Charte de 1814 devient l’article 32 dans la Charte de 1830 et modifié ainsi ; « Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s’il n’est âgé de trente ans et s’il ne réunit les autres conditions déterminées par la loi. »
- L’article 43 de la Charte de 1814 devient l’article 37 dans la Charte de 1830 et modifié ainsi ; « Le président de la Chambre des députés est élu par elle à l’ouverture de chaque session. »
3. Le règne du roi « bourgeois »
Le règne de Louis-Philippe 1er commence par l’usurpation de la révolte des Parisiens sur les barricades de juillet 1830. Le « détournement » de cette révolte au profit du duc d’Orléans, nommé par la suite roi des Français, fut le fruit d’une machination, entre certains bourgeois fortunés tels que les banquiers Laffitte, Casimir Perier, le journaliste Thiers et La Fayette. Ce dernier pourtant, âgé de 73 ans, n’aimait pas le père de Louis-Philippe 1er (le régicide Louis-Philippe Égalité) et probablement une grande partie de l’entourage du duc d’Orléans.
Les émeutiers des barricades se sentiront trahis et floués du résultat de cette révolte, qui a entraîné l’abdication et la fuite à l’étranger de Charles X. Ils manifesteront plusieurs fois, malheureusement pour eux en vain. Chaque émeute ou révolte parisienne sera réprimée violemment par la troupe, aux ordres de ces bourgeois fortunés.
Adolphe Thiers, en s’impliquant directement dans la récupération de l’émeute « des barricades parisiennes » au profit du duc d’Orléans, va en bénéficier ultérieurement. En trois mois, il sera admis au Conseil d’État le 11 août 1830, adjoint au ministre des Finances, le 1er août 1830, puis ministre le 2 novembre 1830.
C’est lui qui, avec Mignet à l’hôtel du banquier Jacques Laffitte, va rédiger l’affiche qui sera placardée dans les quartiers de Paris, durant la nuit du 29 juillet 1830. Ce « placard » repris ci-après, va « propulser » le duc d’Orléans comme la « solution unique », après la fuite en Angleterre de Charles X :
- « Charles X ne peut plus rentrer dans Paris : il a fait couler le sang du peuple.
- La république nous exposerait à d’affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l’Europe.
- Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution.
- Le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous.
- Le duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores.
- Le duc d’Orléans peut seul les porter encore ; nous n’en voulons pas d’autres.
- Le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue. C’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne ».
Le contenu de ce « placard » prouve l’implication du duc d’Orléans en amont de cette révolte et sa contribution à la conspiration de Thiers, Mignet, Jacques Lafitte et probablement Talleyrand.
Louis-Philippe, duc d’Orléans, « l’usurpateur » va réaliser le rêve de son père le régicide et de son grand-père avant lui, qui est d’évincer les héritiers légitimistes au trône de France, descendants directs de Henri IV, pour les remplacer par ceux de la Maison d’Orléans.
Comment imaginer que les royalistes légitimistes, plus particulièrement les héritiers de Charles X, puissent accepter cette première injustice familiale depuis plusieurs siècles. Cette entorse sera le début des conflits entre légitimistes et orléanistes jusqu’au 21e siècle.
Les historiens débattront après 1945 sur les raisons profondes qui ont retenu Charles de Gaulle de remettre Henri d’Orléans, comte de Paris, sur le trône de France. Or, ne serait-ce pas justement, parce que celui-ci était un des descendants de la Maison d’Orléans ?
Hormis le fait que ce dernier avait été proche des nazis et avait trempé dans le complot pour assassiner l’amiral Darlan, en favorisant le comte de Paris, le général de Gaulle aurait donné le sentiment qu’il approuvait de fait l’usurpation au trône de France, réalisée en 1830, par Louis-Philippe 1er.
Louis-Philippe 1er, bien que roi des Français, ne sera plus seul à gouverner le pays. Suite aux émeutes sur les barricades parisiennes, la France utilisera le drapeau tricolore de la Révolution et de l’Empire. La Charte de juin 1814, base de la gestion gouvernementale, sera légèrement modifiée, pour donner un sens moins monarchique au pouvoir et plus « révolutionnaire ».
Le régime devient plus « parlementaire » laissant plus de place et de responsabilité aux députés de la Chambre. Ces derniers seront élus grâce au suffrage censitaire, à partir d’une liste de 160 000 électeurs sur les quelque 33 millions de Français en 1830.
Il faudra attendre 1848, après la déclaration de la Deuxième République, pour voir apparaître pour la première fois dans l’histoire de la France, un semblant de suffrage « universel ». En effet, celui-ci sera réservé uniquement aux hommes âgés de plus de 21 ans (électeurs), excepté les militaires et la garde nationale.
La Charte de 1830 sera plusieurs fois modifiée, en vue de réduire encore ce corps électoral, au détriment de la classe moyenne, insuffisamment fortunée pour avoir le droit de voter. Les bourgeois fortunés seront « entre eux » pour gouverner et prendre toutes les décisions. Ce sera le début de l’entre-soi « gouvernemental » qui va perdurer durant deux siècles.
D’ailleurs, Adolphe Thiers, en 1830, bien que relation privilégiée du duc d’Orléans, de Talleyrand et d’autres notables fortunés, n’est pas suffisamment riche pour faire partie du « cens électoral ». Ce sera grâce à madame Eurydice Dosne, sa maîtresse et sa future belle-mère, qu’il pourra intégrer les contribuables privilégiés. En effet, celle-ci lui vendra 100 000 francs, un immeuble, qu’il ne paiera que deux ans après la date de la vente.
Ainsi, il relèvera le montant de ses impôts au niveau nécessaire, pour enfin rejoindre le très convoité corps électoral. Il va pouvoir faire partie des personnes politiques en vue, au moment opportun. Sa vie « politique » au sein du pouvoir va commencer.
Le premier gouvernement (le nom à l’époque était « premier ministère ») de Louis-Philippe 1er, constitué le 11 août 1830 et modifié le 2 novembre 1830, va mettre en scène 11 hommes aux idées et objectifs totalement contradictoires. Il n’y aura pas de président du conseil dans ce premier gouvernement.
Dans celui-ci, on trouvera par exemple, François Guizot, ministre principal de Louis-Philippe 1er, fils d’un ancien avocat « girondin » guillotiné pendant la « Terreur« , était un ami du duc de Broglie et de Royer-Collard, chef des « doctrinaires » voisin et ami de Talleyrand. Avec Casimir Perier, ils représentaient deux libéraux conservateurs dans le « parti de la Résistance », pour qui l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe 1er avait pour but de terminer ou « d’achever » la Révolution de 1789.
À l’opposé, dans le « parti du Mouvement », La Fayette, le banquier libéral Jacques Laffitte et l’ancien avocat Jacques Dupont de l’Eure, pour qui la révolte de juillet 1830 ne représenterait que le commencement d’un nouveau régime.
Après la dislocation du premier « ministère » de Louis-Philippe 1er, le second ministère, de gauche, débutera le 2 novembre 1830 et sera dirigé par Jacques Laffitte. Ce dernier, ministre des Finances, assurera aussi la présidence du Conseil. Il nommera Adolphe Thiers au poste de sous-secrétaire d’État.
Les ministères vont se succéder sans pour autant effacer les différences d’opinions très vives au sein de la chambre des députés. Après Guizot, Laffitte, Perier, Broglie, Thiers, Molé, Soult… les chefs des gouvernements se suivent, dans l’indifférence totale au sein du peuple.
Une règle de fonctionnement pour les gouvernements successifs, mise en place par Casimir Perier en 1831, suite au remplacement du ministre Laffitte, sera « l’ordre à l’intérieur et la paix à l’extérieur ».
3.1 À l’intérieur
Pour ce qui est de « l’ordre » le ministre de l’Intérieur Thiers sera impitoyable. En novembre 1831, les républicains, déjà à cette époque, ont tenté de récupérer la révolte des ouvriers tisserands de Lyon (la révolte des canuts). Les canuts n’avaient, eux, que des revendications professionnelles et non politiques. Cette révolte, comme les suivantes en 1834 et 1848, à Lyon et à Paris, sera réprimée dans le sang.
En 1832, une insurrection royaliste s’est levée en Vendée, menée par la duchesse de Berry, pour défendre les droits au trône de France pour son fils et petit-fils de Charles X, le duc de Bordeaux devenu comte de Chambord. Cette révolte, quelque peu aussi « légitime » que le coup d’État du duc d’Orléans, devenu Louis-Philippe 1er, roi des Français, sera réprimée sans pitié par la troupe, aux ordres de Camille Bachasson, comte de Montalivet et du ministre Thiers.
En juin 1832, à l’occasion des obsèques du général républicain Lamarque, une émeute organisée par une quarantaine de députés de l’opposition, menés par La Fayette et Jacques Laffitte, va entraîner un déchaînement de violence contre le gouvernement et le ministère Perier. Des combats meurtriers qui feront plus de 800 victimes se dérouleront dans le quartier Saint-Merri à Paris.
Le 9 avril 1834, une nouvelle insurrection des canuts à Lyon s’étend à d’autres corporations et certaines catégories populaires. Toujours « pilotée » de Paris par les républicains parisiens, cette insurrection apparaît pourtant dans un contexte économique favorable.
Comme le 28 avril 1789, à Paris lors des émeutes des ouvriers du manufacturier de papiers peints Réveillon, les « agents » républicains dépêchés sur place vont faire croire aux ouvriers tisserands que leur salaire sera revu prochainement à la baisse. Influencés, manipulés et ostracisés, les canuts, rejoints par les ouvriers de la « peluche » et de la soie, vont se révolter contre le gouvernement.
Thiers, face à la situation tendue, choisit, dans un premier temps, de retirer la troupe et laisse la ville aux mains des insurgés. Thiers, qui aurait fait encercler Lyon par la troupe composée de 20 000 hommes avec 150 canons, auxquels s’ajoutèrent les renforts dépêchés de Paris, donna l’ordre de reprendre, sans ménagement, chaque quartier.
Cette émeute, qui aura fait plus de 600 victimes, sera écrasée dans le sang, au bout d’une semaine de combats violents. 10 000 insurgés, qui seront faits prisonniers, seront jugés à Paris puis déportés au bagne ou en Algérie. D’autres seront condamnés à de lourdes peines de prison.
Les derniers troubles ont donné pour conséquence un remaniement ministériel. Par la loi du 10 avril 1834, le gouvernement décide de durcir la répression des associations et corporations non autorisées, et notamment les associations républicaines comme la « Société des droits de l’homme ».
Le 28 juillet 1835, a lieu boulevard du Temple à Paris, une nouvelle tentative d’attentat contre Louis-Philippe qui fera 18 victimes. Cet attentat sera commis par Giuseppe Fieschi, d’origine corse, au moyen d’une machine infernale conçue à partir de 25 canons à fusil juxtaposés.
Cet événement, financé et « organisé » par certains républicains parisiens, sera condamné par l’ensemble de la classe politique du moment. Les coupables seront arrêtés et jugés le 30 janvier 1836. Fieschi et ses complices seront guillotinés à Paris, le 19 février 1836.
En 1842, le fils aîné de Louis-Philippe, le duc Ferdinand d’Orléans, se tue accidentellement. Celui-ci laissera un enfant très jeune comme héritier, un fils, Henri, comte de Paris. Ce dernier étant né en 1838, donc majeur en 1859, va obliger Louis-Philippe d’envisager une période de régence, après sa mort. En 1842, Louis-Philippe est déjà âgé de 69 ans.
Cette époque de la monarchie de juillet apportera son lot de grands bouleversements dans la littérature et les arts, comme la peinture, la sculpture ou la musique. Dans la littérature, c’était le moment de grands auteurs comme Alphonse de Lamartine, François-René de Chateaubriand, Honoré de Balzac, Victor-Marie Hugo, Alfred de Vigny, Prosper Mérimée, Henri Beyle, mieux connu sous le nom de plume Stendhal, Alexandre Dumas, Alfred de Musset, Théophile Gautier, Charles-Augustin Sainte-Beuve, Gérard de Nerval, Amantine Aurore Dupin de Francueil, mieux connue sous le nom de plume George Sand, etc…
Dans la peinture, de nouveaux artistes percent comme Géricault, Corot, Delacroix, etc… Pour la sculpture, Rude, David d’Angers et pour la musique, Berlioz, Halévy, ou Meyerbeer.
Il est intéressant et amusant de voir combien, au 20e et 21e siècle, ces auteurs ou artistes sont plébiscités et mis dans la « lumière » par les républicains contemporains, alors que tous, ou presque, sont issus de la haute noblesse ou de la haute bourgeoisie.
3.2 À l’extérieur
En 1840, le Royaume-Uni, la Prusse, l’Autriche et la Russie s’allient pour freiner l’hégémonie de l’Égypte et les ambitions de son sultan Méhémet-Ali afin de protéger l’Empire ottoman. La France ne sera pas conviée à cette coalition.
En Algérie, la conquête des territoires se poursuit, sans objectif clair de la part du gouvernement français empêtré dans de basses querelles politiques. Après quinze années de campagne, les Autochtones menés par Abd el-Kader se rendent en 1847 au chef de l’expédition française, Henri d’Orléans, duc d’Aumale et cinquième fils de Louis-Philippe 1er.
En 1847, il y avait en Algérie plus de 110 000 colons européens et 52 000 Français (volontaires ou condamnés par la justice française).
Toujours, dans l’optique de maintenir la paix avec les puissances européennes, Louis-Philippe 1er n’aidera pas le peuple polonais en 1830 et 1831 dans leurs révoltes pour l’indépendance, face aux armées russes. Cette guerre, qui dura plus de 8 mois, se terminera par la chute de Varsovie et sera suivie d’une très sévère répression par les Russes. Les biens des insurgés seront confisqués et ces derniers seront déportés en Sibérie.
4. Naissance de la Belgique
Le pays connu sous le nom de Belgique au 21e siècle, était encore en 1830, rattaché à la tutelle hollandaise depuis le traité de 1815. Il faut ici se rappeler que ce pays, appelé au 15e siècle, les Pays-Bas Bourguignons, puis à partir du 16e siècle, les Pays-Bas espagnols, puis les Pays-Bas autrichiens, a été enfin divisé en neuf départements par les Français pendant la Révolution de 1789 jusqu’à avril 1815.
Ce pays sera finalement rattaché au royaume de Hollande à partir de 1815, après la seconde abdication de Napoléon 1er.
Les habitants de ce pays, qu’on appelle au 21e siècle, les Belges, se sont souvent révoltés contre l’occupant et plus précisément en 1830, contre la domination hollandaise qui leur a été imposée. Les Belges, profitant des émeutes parisiennes de 1830 et de celles des Polonais, qui comme eux souhaitaient retrouver leur indépendance face à la Russie, la Prusse et l’Autriche, ont manifesté violemment pour retrouver leur liberté, voire le rattachement à la France.
Les Anglais, tout comme les Hollandais et les Prussiens ne pouvaient autoriser ce dernier choix, pour des raisons évidentes. C’était une époque où toute l’Europe était parcourue de manifestations ou d’émeutes « révolutionnaires ».
Le 3 février 1831, le Congrès national belge, souhaitant, contre tous les avis extérieurs, se rapprocher de la France, choisi comme roi, un prince français, Louis d’Orléans, duc de Nemours, deuxième fils de Louis-Philippe 1er. Les Belges, à défaut du prince et duc de Nemours, étaient prêts à accepter le fils d’Eugène de Beauharnais, ex-vice roi d’Italie pendant l’Empire.
Louis-Philippe 1er, voulant absolument conserver la paix en Europe, refusa le choix des Belges pour son fils. Il dépêcha le 4 novembre 1830, à la conférence sur l’avenir de la Belgique qui se déroula à Londres, son négociateur préféré, Talleyrand, en vue de trouver une solution pacifique à cette crise.
Fort heureusement pour les Belges, au même moment, face à l’insurrection polonaise, les Russes et les Prussiens étaient déjà fort occupés et de fait ont laissé les Anglais, les Hollandais et Talleyrand trouver un compromis, acceptable pour tous.
Le premier acquis positif à cette conférence sera la reconnaissance par les puissances européennes de la séparation de la Belgique et de la Hollande.
Ensuite, après d’âpres négociations, c’est le candidat soutenu par les Anglais, Léopold de Saxe-Cobourg, qui sera choisi comme le premier roi des Belges le 4 juin 1831. Léopold de Saxe-Cobourg était un prince allemand de la dynastie Saxe-Cobourg et Gotha, comme, à la même époque, la dynastie britannique.
La Belgique, à partir de cette date, aura donc une monarchie constitutionnelle héréditaire. Son fils Léopold II lui succédera en 1865.
Les Néerlandais, non satisfaits de l’indépendance de la Belgique, enverront une armée en août 1831, pour reconquérir ce territoire. L’armée hollandaise se retirera dès l’arrivée d’une armée française, envoyée au secours des Belges. Les Néerlandais laisseront cependant, en novembre 1832, une garnison occuper la citadelle d’Anvers.
Il faudra 24 jours à l’Armée du Nord française, commandée par le maréchal et comte Étienne Maurice Gérard et au général François-Nicolas Haxo, spécialiste français des sièges militaires, pour contraindre les ennemis à céder et obtenir leur capitulation le 23 décembre 1832. Les Anglais, par contre, n’auront rien fait pour aider les Belges.
Léopold 1er, premier roi des Belges, épousa Louise d’Orléans, la fille de Louis-Philippe 1er, le 9 août 1832, au château de Compiègne.
5. La révolution industrielle
Jean-Christian Petitfils, dans son ouvrage « Histoire de la France » de 2018, décrit, à partir d’une excellente analyse, les débuts de la révolution industrielle sous Louis-Philippe 1er en ces termes : « Contemporaines des débuts de la révolution industrielle, les années de la monarchie de Juillet revêtent une importance particulière dans l’histoire du capitalisme. Les progrès scientifiques et techniques eurent pour effet d’entraîner le lent déclin de l’économie agro-artisanale, l’exode massif des paysans vers les villes et parallèlement l’essor du salariat. »
L’exode des paysans vers les grandes villes, pour y trouver un travail, entraîna notamment le doublement de la population parisienne, en moins de vingt ans. En 1840, Paris comptait plus d’un million d’habitants alors qu’il y en avait à peine 550 000 sous le Premier Empire.
Dans certaines régions rurales de France, on assista à une rapide transformation du monde agricole vers des secteurs contribuant à l’industrialisation du pays. Dans le Nord ou le Massif central, les nouvelles mines de charbon apportèrent leurs lots de nouveaux métiers, mais aussi de travaux extrêmement durs, ingrats, souvent dangereux et mal rémunérés en proportion des risques encourus.
Ce furent les débuts de la création d’emplois pour « les esclaves blancs » au profit des industriels bourgeois. Dans de nombreux ateliers ou dans les mines de charbon, des bourgeois dirigeants autorisaient l’exploitation d’enfants âgés de 5 ans à peine pour des tâches extrêmement pénibles.
On vit naître des forges dans les Ardennes et dans la Nièvre, des ateliers métallurgiques dans la région parisienne, des filatures mécanisées de coton en Normandie, des fabriques de draps à Elbeuf et dans le Languedoc, des soieries à Lyon et à Saint-Étienne, etc.
Du côté transport, compte tenu des nouveaux besoins du commerce, on agrandissait le réseau routier et s’ajoutant aux voies fluviales, on créa de toutes pièces un premier réseau de chemin de fer.
Beaucoup de ces nouveaux métiers, mal rémunérés, engendrèrent une nouvelle « pauvreté » hélas de plus en plus visible dans de nombreuses régions de France. Certaines personnes, sensibles à la condition humaine dégradée et à la misère ouvrière, comme Armand de Melun, fondateur de la Société d’économie charitable ou Frédéric Ozanam, animateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, prirent ouvertement position contre l’individualisme libéral des bourgeois, peu sensibles à la condition déplorable des ouvriers ou des mineurs.
À cette époque, le droit de réunion en groupe était interdit. Pour pouvoir échanger, discuter ou débattre en public, seuls les regroupements sous forme de banquets étaient tolérés.
Sur le plan démographique, la France avait un vieillissement de la population, bien supérieur aux autres pays de l’Europe. L’insuffisance de la natalité depuis 1815 va entraîner une situation dangereuse pour le pays, à partir de 1848. À l’inverse, la Russie, l’Angleterre et notamment la Prusse, auront une démographie encourageante pour leur avenir. Cette différence dans la dynamique de la démographie sera l’une des causes de la future défaite française en 1870 face à la Prusse.
6. La crise sociale de 1847
Plus on créait d’environnements industriels, et plus on augmentait le nombre d’ouvriers et de prolétaires. On recensait plus de 6 millions d’ouvriers en 1847, dont 2 millions, dans les usines ou les fabriques. Dans les faits, plus les effectifs des peuples du « monde industriel » grandissaient et plus les industriels bourgeois s’enrichissaient.
Plus les uns perdaient dans leurs conditions de vie et plus les autres en bénéficiaient. On vit même des femmes et des enfants participer au labeur des hommes, des maris ou des pères pour obtenir une maigre rémunération. Ce qui aura pour conséquence la dislocation du cercle familial pour de nombreux foyers pauvres.
Une question sur la condition de vie de ces « ouvriers » et l’extension de la misère se diffusait dans la société, y compris dans le milieu ecclésiastique. À gauche, un mouvement « socialiste » était en train de naître et face à la situation, s’est installé progressivement un rejet du monde inhumain du capitalisme, en France mais aussi dans toute l’Europe, en cours d’industrialisation.
Depuis 1845, la France traversait une mauvaise conjoncture économique, incluant une hausse des prix, une surproduction industrielle, une dépression dans le monde du textile, entraînant des faillites et une augmentation sensible du chômage.
Les récoltes de blé, de maïs et de pommes de terre étaient désastreuses. Ce phénomène de baisse des productions agricoles touchait tous les pays de l’Europe. En Irlande, la « grande famine » de 1846-1851 fit plus d’un million de victimes.
Louis-Philippe 1er, alors âgé de 74 ans, était de plus en plus entêté et conservateur. Le roi des Français, comme la plupart des bourgeois aisés, restait sourd à la colère du peuple, qui montait dans toutes les régions de France.
La misère était visible partout, y compris à Paris, à cause de la famine et des faillites. La corruption gangrenait l’ensemble des classes politiques, du gouvernement comme les industriels, qu’ils soient royalistes, républicains ou tout simplement bourgeois.
Le régime, bien que différent de celui de Charles X, chancelait depuis le « coup d’État » qui suivit les « trois glorieuses » de juillet 1830. Mais, c’est surtout à partir de 1847 que les secousses étaient les plus violentes et annonciatrices d’une profonde dislocation.
C’est aussi, depuis cette date, que plusieurs « affaires » de corruption au plus haut niveau de l’État ont éclaté et apparu sur la place publique.
Le « monde industriel » a engendré une grande pauvreté et une misère criante, que les bourgeois voulaient ignorer. Certains d’entre eux s’imaginaient même naïvement que pour « corriger » ce phénomène, il fallait augmenter encore les productions et donc les effectifs dans les ateliers ou les manufactures.
Parmi les « affaires » et scandales financiers, il y avait notamment l’histoire sordide de Teste-Cubières. Dans cette affaire de pots-de-vin, deux anciens ministres et pairs de France ont été jugés par la Cour des Pairs.
Le général Despans-Cubières, ancien ministre de la Guerre, aurait versé en 1843 un pot-de-vin de 100 000 francs à Teste, ministre des Travaux publics, pour obtenir le renouvellement d’une concession de la mine de sel de Gouhenans.
Il y avait aussi, toujours en 1847, le suicide par empoisonnement à l’arsenic du duc de Choiseul-Praslin, emprisonné pour le meurtre de sa femme. En mars 1847, la mort du ministre de la Justice Nicolas Martin du Nord, qui se serait suicidé suite à de nombreuses malversations, impliquant des pairs de France, des députés et de nombreux fonctionnaires.
Enfin, pour ne citer que les plus « visibles », en décembre 1847, une arnaque impliquant plusieurs hauts fonctionnaires et le Garde des Sceaux, pour « l’achat » de postes à la Cour des Comptes.
7. Vers la Révolution de 1848
En juillet 1847, les oppositions de gauche, l’une modérée pilotée par Odilon Barrot et la seconde, républicaine, firent campagne ensemble en vue d’abaisser le montant du cens de 200 francs à 100 francs (taxe pour pouvoir voter), pour augmenter sensiblement le nombre du corps électoral. Cela correspondrait au 21e siècle à améliorer la proportionnelle au sein de la chambre des députés.
Malheureusement, le président du Conseil, François Guizot, demeura hostile à cette réforme. Ce qui entraîna l’obligation pour les oppositions de faire campagne par le biais de banquets, puisque les réunions publiques étaient interdites.
À partir de novembre 1847, une partie de l’opposition menée alors par Alexandre Ledru-Rollin, avocat issu de la bourgeoisie républicaine et « progressiste » réclama la mise en place du suffrage universel. Les oppositions n’étaient pas en phase sur ce sujet, mais toutes réclamaient un changement immédiat du mode de suffrage.
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