Napoléon III et l’Empire
1. Contexte
Fin 1852, Charles Louis Napoléon Bonaparte vient d’être nommé Empereur des Français sous le nom de Napoléon III. Avant de suivre ses péripéties et ses déboires, il faut positionner le personnage dans son époque, pour mieux comprendre ses choix, ses décisions et les événements.
Napoléon III est né à Paris en 1808, sous le règne de son oncle Napoléon 1er. Chassé des territoires français, comme tous les Bonaparte dès janvier 1816, il vivra une grande partie de sa vie en exil. D’autre part, comme ses parents étaient séparés très tôt dans son enfance, il sera éduqué par sa mère, exilée en Suisse. Il ne reverra la France, son pays de naissance, qu’après la révolution de 1848 et la fuite en Angleterre de Louis-Philippe 1er.
Très tôt, le jeune Charles Louis Napoléon Bonaparte se sentira investi d’une mission, au profit de la France. Il faut reconnaître qu’avoir Napoléon 1er, comme parrain et comme exemple sous ses yeux, devait probablement contribuer à s’imaginer un grand destin.
Malheureusement pour Napoléon III, à cause de l’exil forcé de plus de trente années, son éducation de base et sa formation du fonctionnement d’un État n’étaient pas vraiment au rendez-vous. Cette absence de culture « étatique » le fragilisera toute sa vie et le rendra souvent mal à l’aise en société. Il essayera de combler partiellement ce manque, lorsqu’il sera emprisonné durant six années au fort d‘Ham, hélas, sans toutefois y parvenir suffisamment.
Il fut très difficile pour sa mère, Hortense de Beauharnais, devenue Bonaparte par mariage, l’ex-reine de Hollande, d’élever seule ce jeune homme, dans une région éloignée de la société des grandes villes. C’est une des raisons pour lesquelles, à partir de 1823, elle finira par partager son temps et celui de Charles Louis Napoléon Bonaparte, entre la Suisse et Rome en Italie.
C’est en Italie, pendant plus de dix années, au contact de quelques « conspirateurs carbonari » pour créer l’unité italienne, qu’il participera, avec son frère aîné, à quelques émeutes. Au contact de ces « révolutionnaires » ses sensibilités politiques glissèrent vers le « socialisme » ce qui l’amènera, quelques années plus tard, à être souvent en désaccord avec les choix des députés et bourgeois de l’Assemblée nationale française.
L’Empereur, Napoléon III, sera toujours sensible au devenir de l’Italie, ce qui le mettra quelques fois dans des situations « compliquées » voire ambiguës. Cela fut, par exemple, la cause de quelques-unes de ses décisions troublantes, concernant l’intégration ou non de Rome et des États pontificaux à l’unification italienne.
En effet, depuis la disparition du Saint Empire, démembré en décembre 1805 par Napoléon 1er, puis dissout par la Diète d’Empire le 6 août 1806, restait uniquement l’Empire d’Autriche-Hongrie. Depuis cette date, l’empereur du Saint Empire n’était plus que l’empereur d’Autriche-Hongrie. Cet Empire avait conservé ses territoires, situés au Sud du Pays. En l’occurrence, au Nord de l’Italie, les territoires de la Lombardie jusqu’à la Vénétie étaient dépendants de l’Empire d’Autriche.
Une partie au Nord-Ouest de l’Italie, le Piémont et la Savoie dépendaient des rois de la Maison de Savoie. Au Nord de Rome, plusieurs duchés étaient plus ou moins indépendants. Au Sud de Rome, les territoires dépendaient du royaume des Deux-Siciles. Enfin, les abords de Rome et la ville incluse, les états pontificaux, dépendaient du pape.
Le peuple de France ne connaissait pas vraiment Napoléon III, au début de son règne, pourtant président de la République française quatre années avant 1852. Il en était conscient et a essayé d’atténuer ce manque, par la réalisation et la diffusion à grande échelle d’images « d’Épinal » et d’almanachs impériaux, le présentant dans diverses circonstances. Au 21e siècle, peu de Français savent qu’il a été président de la République française, avant d’être l’Empereur Napoléon III.
Il a utilisé ce moyen de « communication » enfin disponible, à son époque, tendant à mieux le faire connaître par les différentes couches sociales de la société. En l’absence de résultats probants sur un champ de bataille, une image valait mieux que dix discours, surtout si celle-ci présentait l’Empereur Napoléon III, dans des tenues d’apparat ou de cérémonies officielles.
D’autre part, son esprit « social » forgé en Italie l’amena souvent à intervenir personnellement dans des cas de catastrophes naturelles, comme à Lyon en juin 1856, lors des inondations du Rhône. Il lui arriva aussi de prendre position contre certains avis de l’académie des beaux-arts, en favorisant des artistes « provocants » pour l’époque, comme en 1863, avec Édouard Manet et sa fameuse toile « Déjeuner sur l’herbe ».
Déjà, en tant que président de la République française de 1848 à 1852, il avait organisé de nombreuses fêtes et bals, au sein du palais de l’Élysée. Nommé Empereur, Napoléon III, encore célibataire, poursuivit ses nombreuses et luxueuses fêtes, au palais des Tuileries.
Il avait « une sexualité débridée » et une « passion de jouissances vulgaires » disait, le concernant à cette époque, Alexis de Tocqueville, qui le côtoyait fréquemment. Ses aventures amoureuses étaient nombreuses et connues de tous. On lui avait attribué, avant son mariage, quatre ou cinq bâtards.
Devenu Empereur héréditaire, Napoléon III ne pouvait plus rester avec sa compagne et maîtresse depuis 1846, l’actrice anglaise, connue sous son nom de scène, Harriet Howard. Cette dernière avait financé toutes ses tentatives de coup d’État et ses campagnes aux élections législatives puis présidentielles.
Il lui fallait se marier avec une femme de l’aristocratie. Au cours d’une fête organisée par sa cousine, la princesse Mathilde Létizia Bonaparte, fille de Jérôme Bonaparte, il fit la connaissance en 1849, d’une jeune aristocrate espagnole âgée alors de 22 ans, Eugénie de Palafox, comtesse de Montijo y Teba. À cette date, Charles Louis Napoléon Bonaparte, âgé alors de 41 ans, était encore président de la République française. Pour information, Teba est une ville de la province de Malaga en Espagne.
Cette jeune femme, fine et élégante, était particulièrement ambitieuse et calculatrice. Élevée au couvent du Sacré-Coeur à Paris, elle parlait couramment le français. Bien que plus jeune de dix-huit ans, elle sut parfaitement tenir à distance Napoléon III jusqu’au mariage, qui fut organisé au château des Tuileries, le 29 janvier 1853.
La date du mariage aurait été précipitée, après un incident qui se serait produit lors d’un bal au palais des Tuileries, le 12 janvier 1853. La jeune comtesse espagnole aurait été traitée « d’aventurière » par la femme du ministre de l’Éducation, Hippolyte Fortoul, ministre de Napoléon. Ce dernier, piqué au vif, précipita sa décision de demande en mariage.
La jeune comtesse Eugénie de Montijo, fervente catholique, qui deviendra l’impératrice des Français en janvier 1853, donnera naissance, le 16 mars 1856, au seul héritier de l’Empire, Napoléon Eugène Louis Bonaparte, que des historiens appelleront communément « Louis Napoléon ».
Bien que marié à celle dont il avait longuement fait la cour, Napoléon III, fidèle à ses frasques amoureuses, passait d’une maîtresse à une autre, sans complaisance pour l’impératrice. On était loin des aventures à la hussarde de son oncle, Napoléon 1er. Pour ce dernier, la France et la réalisation de ses œuvres militaires ou de ses projets administratifs, comptaient plus que tout.
Pour Napoléon III, à qui il manquait le plébiscite des victoires sur les champs de bataille, l’apparence et le futile nécessaire masquaient la réalité d’un Empereur par accident et non pour le mérite.
Fort heureusement pour lui et pour la France, il a su s’entourer de personnages fidèles et compétents comme son demi-frère Charles de Morny et surtout Eugène Rouher, ancien avocat devenu successivement ministre de la Justice, de l’Instruction publique, des Cultes, de l’Agriculture et enfin du Commerce et des Travaux publics. Mais aussi, Victor Fialin, comte puis duc de Persigny, bien que Républicain sous la Restauration, occupa, à plusieurs reprises, le poste-clé de ministre de l’Intérieur.
D’autres bonapartistes convaincus vont l’assister, comme Alexandre Colonna, comte Walewski, fils naturel de Napoléon 1er et de Marie Walewska, ministre des Affaires étrangères, ou Achille Fould, fils d’un banquier juif de Lorraine, en tant que ministre des Finances.
En juin 1853, à la suite d’une épidémie de choléra, qui fit de nombreuses victimes à Paris, Napoléon III, suite à l’influence du duc de Persigny, valida le projet d’Eugène Haussmann, envisageant une grande transformation de l’urbanisme parisien, pour créer enfin un réseau pour les eaux usées, un réseau pour l’eau potable et même un réseau distribuant le gaz. Eugène Haussmann sera nommé préfet de la Seine et œuvrera durant 16 années pour transformer Paris en véritable capitale moderne, salubre et accueillante.
La transformation de Paris avait en fait deux autres raisons « officieuses » dont la première était liée au passé révolutionnaire parisien et la seconde avait comme source les souvenirs de Napoléon III, lorsqu’il fut obligé de vivre en exil à Londres.
En modifiant certains quartiers de Paris et en répartissant la population, Napoléon III souhaitait supprimer la possibilité à des émeutiers éventuels de « rejouer » les révolutions de 1830 et de 1848. D’autre part, alors qu’il était à Londres entre 1846 et 1848, il avait pu constater la formidable transformation des quartiers ouest de Londres, après le grand incendie de 1666.
L’embellissement de la capitale attira de nombreux curieux, mais aussi des touristes ainsi que des hommes et des femmes d’affaires du monde entier. Par ruissellement, Paris va se doter de magasins, à la hauteur des nombreuses foules curieuses. On vit se créer, entre 1852 et 1870, des commerces modernes et célèbres comme « le Bon marché » en 1852, « Au Louvre » en 1855, « le Bazar de l’Hôtel de Ville » en 1857, « le Grand Bazar de Lyon » en 1857, « Au Printemps » en 1869 et « la Samaritaine » en 1870.
1.1 L’Europe « sociale » et « commerciale » un siècle avant l’heure
Bousculant les principes du commerce international, Napoléon III a organisé la signature, le 15 janvier 1860, d’un traité de commerce et de libre-échange avec le Royaume-Uni. Ce traité fut suivi d’une série d’accords commerciaux négociés avec des pays limitrophes, comme la Belgique, l’Italie, le Zollverein (État de l’Allemagne de l’Ouest au 21e siècle) et l’Autriche.
Ce traité de commerce a engendré de nombreuses réactions négatives au sein des proches de Napoléon III, mais aussi dans les rangs des patrons bourgeois et industriels qui percevaient là une atteinte à leurs activités industrielles, véritable concurrence négative. Napoléon III avait déjà été fragilisé, dans sa position gouvernementale, après la guerre en Italie et ses choix discutables, concernant le pape et les États pontificaux.
Après 1860, il avait perdu le soutien des catholiques, puis du patronat et des industriels. À partir de cette date, Napoléon III cédera progressivement une partie importante du pouvoir, en organisant une politique plus sociale et audacieuse.
Ministre de l’Instruction publique de Napoléon III, Victor Duruy, ouvre l’enseignement secondaire aux jeunes filles, dès 1861. Il impose en 1866 l’obligation pour chaque commune de plus de 500 habitants d’ouvrir une école pour filles, l’extension de la gratuité de l’enseignement public du premier degré et l’institution d’un certificat d’études primaires.
Napoléon III, reconnaissant le « droit de coalition » supprimé depuis 1791, par la loi « Le Chapelier » accorda le droit aux travailleurs de se réunir en corporation et de faire grève, par la loi Émile Ollivier, du 25 mai 1864.
Napoléon III va faire développer le « vivre ensemble » parisien en étant à l’origine, dès 1851, de la construction des 86 premiers logements sociaux (cité Rochechouart) dans la capitale et ce, contre l’avis du conseil municipal de Paris.
Napoléon III fut à l’origine dès 1855 de l’organisation des « expositions universelles » et internationales, dont la première se déroula à Paris. Elle sera suivie d’une autre en 1867. Ces grandes foires avaient pour intérêt principal de mettre en avant les progrès techniques, industriels et économiques.
2. Un régime de plus en plus autoritaire
Durant le premier semestre 1849, même si Charles Louis Napoléon Bonaparte venait de remporter fin 1848 l’élection présidentielle de la IIe République, la France, de par la Constitution, était dirigée par le parti de l’Ordre, dont Thiers était le meneur.
L’Assemblée nationale française avait envoyé un détachement militaire à Rome pour assister et protéger le pape des mouvements révolutionnaires tels le « risorgimento italien » dirigé par Giuseppe Mazzini, dont le but était l’unification italienne. La France a laissé un détachement militaire à Rome jusqu’en 1870.
Vaincus à Rome par les troupes françaises, certains conspirateurs auront trouvé refuge à Marseille et préparèrent l’attentat qui se déroula à Paris le 14 janvier 1858, contre l’Empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie. Bien que désavoués par Mazzini, un certain Felice Orsini et quatre complices ont lancé 3 bombes sur le cortège et la berline impériale. L’Empereur et l’impératrice, qui se rendaient à l’Opéra, sortirent miraculeusement indemnes de cet attentat, protégés par des plaques d’acier posées dans la berline, quelques mois précédant cet épisode.
Cet attentat fit 8 morts et plus de 150 blessés. Les coupables furent rapidement arrêtés et condamnés à la peine capitale. A la suite de cet événement, une loi de sûreté générale fut adoptée le 19 février 1858, par les députés et les sénateurs. Cette loi renforça l’autoritarisme du régime, en permettant d’interner ou d’expulser tout individu considéré comme dangereux, pour la sûreté publique.
3. Expansion économique
Durant les deux décennies du Second Empire, la France, lancée depuis Louis-Philippe 1er dans l’ère industrielle, va, sur le plan économique, faire un bond considérable, lui permettant de rejoindre le peloton de tête des rares pays industrialisés de l’époque.
L’envers de la médaille fut que des bourgeois, de diverses origines, mais principalement issus des rangs royalistes, vont s’enrichir effrontément alors que le bas peuple, constituant la majeure partie des « ouvriers » des « artisans » et des « employés », va subir une misère intense et sans espoir d’une véritable amélioration de sa condition.
En 1864, le droit de grève fut reconnu par la loi, entraînant une tolérance du droit de réunion, jusqu’alors interdit en France. En 1867, l’État autorisa la création de coopératives ouvrières, ancêtres des syndicats du 21e siècle. Ce sera aussi le début des premières assurances sur la vie, sur les accidents du travail et des caisses de retraite.
À la base de cette réussite industrielle et économique, c’est Napoléon III, marqué par les idées saint-simoniennes, qui imposa à l’État la mission indispensable et déterminante de programmer et financer de grands travaux d’urbanisme et de transport, stimulant ainsi les appareils productifs, dans tout le pays.
Napoléon III, sensible à la condition « ouvrière » incita les préfets à participer activement dans certaines négociations avec les « patrons » pour libérer quelques augmentations de salaire. Il est cependant intervenu plus souvent, au profit de certains industriels, des banquiers ou de grands commerçants internationaux.
Commencé sous Louis-Philippe 1er, le système bancaire va se développer, se moderniser et s’ouvrir à la concurrence, surtout entre 1859 et 1869. Plusieurs établissements, dont certains seront encore présents au 21e siècle, vont être créés par des familles bourgeoises aisées. Certains établissements, célèbres, comme le Crédit Industriel et Commercial, le Crédit Lyonnais et la Société Générale, vont participer à l’expansion économique du pays.
Des bourgeois, de plus en plus nombreux et de plus en plus riches, vont investir dans divers projets en France, comme le développement du réseau de chemin de fer ou du réseau de transports maritimes, mais aussi à l’international, comme l’entreprise du percement du canal de Suez entre 1859 et 1869, par Ferdinand comte de Lesseps. Ce canal, situé en Égypte, long de 193 km, relie la ville portuaire de Port-Saïd en Méditerranée à la ville de Suez, Golfe de Suez en mer Rouge.
L’Impératrice Eugénie, qui avait soutenu le projet contre l’avis des Anglais, va inaugurer ce nouveau canal, le 17 novembre 1869, sur le yacht impérial « l’Aigle » en compagnie de Ferdinand de Lesseps et de l’Empereur d’Autriche, François-Joseph 1er. D’après quelques sources bien informées, il semblerait que Ferdinand vicomte de Lesseps était cousin d’Eugénie de Montijo, devenue Impératrice des Français, par mariage avec Napoléon III.
Sous l’influence de l’Impératrice Eugénie, Napoléon III va activement participer au développement de plusieurs stations thermales, comme celles de Biarritz, à cause de sa proximité avec l’Espagne, terre natale d’Eugénie, de Plombières dans les Vosges, pour des raisons politiques et surtout de Vichy, qui deviendra en 1870, la « capitale » thermale. Vichy fut, à cette époque, la destination privilégiée de nombreuses personnalités, écrivains ou hommes politiques. Napoléon III, soufrant lui-même de la maladie de la « pierre« , participera souvent, mais en vain, à des cures thermales.
4. Des guerres inutiles et des choix utopiques
De son discours prononcé à Bordeaux, le 9 octobre 1852, Charles Louis Napoléon Bonaparte, alors président de la République, dans lequel celui-ci déclarait : « L’Empire c’est la paix » on retiendra surtout que son unique intention était de rassurer le peuple français mais aussi les puissances étrangères, avant sa nomination en tant qu’Empereur. Les événements qui suivirent cette annonce ont démontré qu’il a trompé tous ceux qui l’ont cru.
Napoléon III, comme son père Louis Bonaparte, n’était pas un grand stratège militaire, contrairement à son oncle Napoléon 1er. Napoléon III a fait la guerre, le plus souvent contre l’intérêt de la France ou pour des chimères. Certaines d’entre elles étaient surtout soutenues par l’Impératrice Eugénie. Les bases qui avaient amené Napoléon III à envisager diverses solutions militaires s’avérèrent souvent totalement utopiques.
4.1 La guerre de Crimée
Napoléon III, souhaitant naïvement défaire l’alliance entre les coalisés européens, suite au traité de paix de 1815, va s’ingérer dans un conflit où la France n’avait pourtant aucune raison d’y participer.
En 1853, soucieux de défendre les intérêts des orthodoxes russes vivant en Crimée sous l’autorité de l’Empire ottoman, le tsar de Russie Nicolas 1er exigea l’établissement d’un protectorat.
En réalité, le tsar Nicolas 1er, sachant l’Empire ottoman en phase de déclin et très affaibli, envisageait prendre possession par la force de plusieurs territoires au bord de la mer Noire, voire bousculer Constantinople occupée par les Ottomans. L’autre objectif, du tsar Nicolas 1er, était de rétablir l’équilibre religieux dans la région et redonner sa place aux orthodoxes, face aux Tatars musulmans.
L’ultimatum du tsar de Russie, concernant la création de ce protectorat russe pour les orthodoxes, a été, comme prévu, refusé par le sultan Abdulmajid, alors maître de l’Empire ottoman. Les Russes envahirent les principautés moldo-valaques (la Roumanie au 21e siècle), dépendantes de la souveraineté ottomane. Les armées russes, de ce fait, se trouvèrent aux frontières de l’Autriche. Cette dernière, inquiète, vit donc d’un bon œil l’intervention militaire franco-anglaise contre la Russie en 1854. La marine russe maîtrisait la navigation sur la mer Noire, après avoir détruit la flotte ottomane.
Les Anglais n’approuvaient pas l’incursion de la flotte russe dans la mer Noire, lui donnant ainsi accès à la Méditerranée. Aussi, le Royaume-Uni envisagea une guerre contre les Russes. Évidemment, seule face aux armées du tsar, l’Angleterre aurait beaucoup de difficultés à obtenir une victoire. Les Anglais, depuis les premières batailles face à Napoléon 1er, restaient performants sur les mers, mais quasi inexistants sur terre par manque de troupes, manque d’entraînement et d’équipement.
Napoléon III, souhaitant profiter de cette opportunité pour faire éclater la Sainte-Alliance de 1815, après s’être concerté avec l’Autriche, a proposé son aide militaire aux Anglais. Ceux-ci ont immédiatement accepté cette formidable opportunité.
L’Empire ottoman, officiellement soutenu par les Occidentaux, va résister aux pressions russes puis aux premières invasions dans le Caucase. Les Français et les Anglais, malheureusement souvent en désaccord sur les plans de bataille, débarquèrent en Crimée le 14 septembre 1854. Les forces françaises, mieux équipées, battirent les Russes à Alma puis à Sébastopol et à Malakoff, le 8 septembre 1855.
Hélas, de part et d’autre, les pertes furent très importantes. Les Russes, pourtant supérieurs en nombre, furent vaincus et signèrent le 30 mars 1856, le traité de paix de Paris, ne mettant pourtant pas fin à cette guerre, complètement inutile et très coûteuse pour la France.
La France, qui venait juste de terminer l’épisode fort discutable de la colonisation de l’Algérie, avait mis le doigt dans un engrenage qui ne la concernait pas. Cette intervention engendra d’autres conflits, en mer Noire, puis en Italie en 1859 et dans toute l’Europe. La France ira même livrer bataille au Liban en 1860, puis au Mexique en 1863.
4.2 La guerre d’unification de l’Italie
Napoléon III fut continuellement enclin à s’occuper de l’avenir de l’Italie et plus particulièrement de son unification, depuis son implication dans les « carbonari » alors qu’il était jeune et en exil.
Ce problème avec l’Italie va très souvent le placer en conflit avec son entourage, y compris son épouse Eugénie, qui sera définitivement du côté du pape et de l’Église. Il lui faudra essayer de résoudre les problèmes liés d’une part à la protection du pape et de l’Église romaine, et d’autre part, défendre le souhait des Italiens à vouloir construire une nation unifiée. Le pape souhaitant diriger un État indépendant au sein de l’Italie.
Napoléon III rencontra secrètement le 21 juillet 1858, à la station thermale de Plombières-les-Bains (Vosges), Camillo Benso, comte de Cavour et chef du gouvernement du royaume Piémont-Sardaigne.
Cavour, mandaté par son roi, Victor-Emmanuel II, pour préparer l’unification italienne, a rencontré Napoléon III en vue de négocier l’intervention militaire de la France face à l’Empire d’Autriche, propriétaire des régions de la Lombardie et de la Vénétie. L’accord prévoyait qu’en échange de sa participation active, la France recevra le comté de Nice et le duché de Savoie, dont Chambéry était la capitale. L’intervention française était conditionnée au fait que le pape resta maître de Rome.
Le 3 mai 1859, la guerre éclata entre la France et l’Autriche. Provoquée par le Piémont, l’Autriche lui déclara la guerre. Les Français, de par leur accord secret, apportèrent leur aide aux Piémontais. Les combats ont eu lieu dans le nord de l’Italie.
Le conflit fut bref à Magenta, en Lombardie, et la victoire française face aux Autrichiens le 4 juin 1859 permit à Napoléon III d’entrer dans Milan. Le 24 juin 1859, à Solférino, les deux Empereurs et leurs armées se font face. Les Français arrachèrent une difficile victoire avec, de part et d’autre, des pertes très lourdes.
Outre les nombreux morts, plusieurs milliers de combattants blessés ont été abandonnés à leur sort, sur le champ de bataille de Solférino. L’histoire retiendra qu’Henry Dunant, homme d’affaires suisse, présent sur place, face à cette vision d’horreur, après avoir assisté pendant quatre jours et quatre nuits, le peu d’infirmières présentes sur le champ de bataille, a œuvré par la suite pour créer en 1863, l’organisation internationale de la « Croix Rouge », organisation qui sera reprise ultérieurement en 1919, sous le nom de « Croissant Rouge » dans l’Empire ottoman.
Un armistice fut signé le 11 juillet 1859 à Villafranca, dans lequel, l’Autriche ne cède que la Lombardie et conserve la Vénétie. Cavour se sentira trahi par Napoléon III qui n’a pas tenu ses engagements. Conformément à l’accord secret préalable, la France récupéra le comté de Nice et le duché de Savoie.
L’acte officiel de cession de ces territoires (traité de Turin) a été signé le 24 mars 1860, par Talleyrand pour la France et par Cavour pour le Piémont-Sardaigne. En avril 1860, les habitants de ces régions validèrent, par référendum, le rattachement à la France. Ces deux territoires, qui avaient déjà été intégrés à la France, sous la Révolution et le Premier Empire, ont été perdus en 1815.
L’Italie, libérée partiellement au nord, de l’Empire d’Autriche, fut alors secouée par deux tendances. Une provenant du sud, révolutionnaire, pour la création d’une République, et l’autre provenant du nord, souhaitant instaurer un royaume d’Italie.
Depuis la Révolution française de 1789, les peuples de toute l’Europe, en proie au même désir de liberté, ont créé des révoltes locales à répétition. Dans les royaumes et duchés de l’Italie, comme en Pologne, en Belgique, en Espagne, au Mexique puis en Russie et en Chine, des peuples se sont mis à rêver de République.
En Italie du nord, après la victoire des forces franco-piémontaises sur l’Empire d’Autriche, Victor-Emmanuel II, roi du Piémont-Sardaigne, sera déclaré roi d’Italie du nord en 1861 et Turin deviendra la capitale jusqu’en 1865.
Cavour poursuivit sa démarche, dans les autres territoires, en vue de les intégrer au royaume d’Italie créé en 1861. Il fit organiser diverses opérations militaires, dans les territoires du sud, avec la complicité du général Giuseppe Garibaldi. Napoléon III toléra même le passage dans Rome des troupes piémontaises en marche vers le sud italien.
La situation se compliqua en 1867, lorsque Cavour et ses armées, en passe d’unifier toute l’Italie, voulurent s’en prendre au pape et à Rome. Le souhait de Cavour et de Victor-Emmanuel II était de faire Rome, la capitale du royaume d’Italie.
Napoléon III, en 1870, fut contraint de retirer ses troupes qui protégeaient Rome pour faire face aux Prussiens, sur le front lorrain. L’armée italienne en profita pour s’emparer de Rome, qui deviendra officiellement la capitale de l’Italie, en 1871. Le pape se dira alors prisonnier dans Rome, jusqu’aux accords de Latran, signés en 1929, par Benito Mussolini, Premier ministre du roi d’Italie, Victor-Emmanuel III.
4.3 Guerre au Liban pour la protection des chrétiens d’orient
Depuis Saint-Louis (Louis IX), la France fut officiellement le seul pays au monde autorisé, dans l’Empire ottoman, à intervenir militairement pour aider et protéger les chrétiens d’orient. Saint-Louis, en 1248, alors qu’il dirige la septième croisade pour sauver le royaume latin de Jérusalem, fait escale à Chypre. Là, les chrétiens maronites, exilés de la terre Sainte, lui font un triomphe.
À cette population, originaire principalement du Mont-Liban, Saint-Louis se déclare protecteur dans la charte du 24 mai 1250, en ces termes : « pour nous et nos successeurs sur le trône de France, nous promettons de vous donner à vous et à tout votre peuple notre protection spéciale comme nous la donnons aux Français eux-mêmes ».
La progression de l’Empire ottoman dans les deux siècles suivants va réduire à néant cette possibilité. François 1er fut le premier roi de France à réactualiser cette fonction en 1604, en signant les premières « Capitulations » avec Soliman le Magnifique, sultan de l’Empire ottoman. Non seulement les Français gagnent un quasi-monopole sur le commerce avec l’ensemble de l’Empire ottoman, mais ces « Capitulations » accordent aussi la garantie de la défense des chrétiens en Orient et la garde des Lieux saints.
Les siècles passent et ces traditions demeurent, y compris, alors que l’Empire ottoman avait entamé sa lente agonie. Cette dernière attisa les ambitions de certains monarques, comme le tsar de Russie en 1848, pour prendre le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles, verrous stratégiques entre la mer Noire et la Méditerranée. Ces détroits sont situés à Constantinople, devenue Istanbul, après 1930. Constantinople, ancienne capitale de l’Empire romain d’orient, est devenue capitale et territoire de l’Empire ottoman à partir de 1453.
C’est précisément le 29 mai 1453 que le sultan Mehmet II, à la tête de l’armée ottomane, s’empara de Constantinople invaincue jusqu’alors, en détruisant une partie de ses hautes murailles grâce à plusieurs énormes canons inventés par un scientifique hongrois.
Au fil des siècles, les nombreux chrétiens en Orient, souvent opprimés par les Ottomans, vont faire connaître leur espérance, dans la croyance qu’ils seront peut-être un jour délivrés par un roi de France. En 1846, le jour du vendredi saint, à Jérusalem, les communautés catholiques françaises et celles des orthodoxes russes en viennent aux mains. On relèvera plusieurs dizaines de victimes dans la basilique du Saint-Sépulcre. La situation s’envenimera plus encore jusqu’en 1854.
Napoléon III, au titre des « Capitulations » sera contraint d’envoyer en septembre 1860, au Liban, territoire de l’Empire ottoman, un corps expéditionnaire de plus de 6 000 hommes, sous la direction du général Charles Marie Napoléon de Beaufort d’Hautpoul. Le sultan Abdülmecid 1er avait soutenu la révolte des Druzes contre les chrétiens maronites. Cette guerre civile avait déjà fait plus de 16 000 morts avant l’intervention de la France.
En 1861, la France fait prévaloir des accords internationaux, qui garantissent l’autonomie du Mont-Liban à l’intérieur de l’Empire ottoman. Il faudra attendre 1920, après la fin de la Première Guerre mondiale dans laquelle l’Empire ottoman était associé aux Allemands vaincus, pour que la France rétablisse l’État du Grand Liban.
4.4 Intervention militaire au Mexique
Cette intervention militaire sera souvent considérée par les historiens comme la plus incompréhensible et la plus inutile. Elle sera parfois appelée « L’aventure mexicaine » car il s’agissait bien d’une aventure « folle » et totalement utopique, initiée par l’impératrice, alors que Napoléon III, pourtant totalement contre cette aventure, finira par céder au caprice d’Eugénie.
4.5 Vers la guerre de 1870 avec les Prussiens
La guerre de 1870 avec les Prussiens, déclenchée naïvement par le gouvernement de Napoléon III, achèvera le Second Empire. La défaite sera humiliante et fort coûteuse pour la France.
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Pour lire la suite, voir le chapitre « L’aventure mexicaine » …