La crise de Tanger en 1905

1 Contexte

La crise de Tanger, en 1905, s’inscrivait dans un contexte extrêmement tendu entre l’Allemagne et la France. Bien que considéré par certains historiens comme le premier événement très sérieux frôlant le déclenchement de la guerre, ce n’était pas la première fois que, depuis 1870, les dirigeants allemands menaçaient d’envahir à nouveau la France.

Déjà sous le règne de l’empereur Guillaume 1er et son chancelier Bismarck, l’Allemagne, regrettant de ne pas avoir suffisamment « saigné » la France en 1871, avait lancé plusieurs tentatives de relancer la guerre en 1875.

Lorsque Guillaume II, petit-fils de Guillaume 1er,  succéda à son père Frédéric III après son décès le 15 juin 1888, celui-ci n’a que 29 ans. Fortement handicapé dès sa naissance, Guillaume II souffrait d’une atrophie du bras gauche, provoquée au moment de l’accouchement.

Hélas pour lui, il souffrait en plus d’une lésion interne de son oreille gauche, qui lui causait de sérieux soucis d’équilibre et amplifiait ses fréquents soubresauts de mélancolie et même de colère.

Le jeune et nouveau kaiser, sans doute en partie à cause de ses soucis de santé et de la gêne en public engendrée par son handicap physique, a, dès juin 1888, profondément modifié la politique traditionnelle prussienne mise en place par Guillaume 1er et le chancelier Bismarck.

Il va imposer un nouvel élan expansionniste et colonialiste à l’Allemagne en renforçant l’esprit militariste et en développant une marine de guerre, capable de rivaliser avec celle du Royaume-Uni, à partir de 1914.

Guillaume II mit en place une véritable politique étrangère agressive et totalement en désaccord avec Otto von Bismarck ; il le limogea en 1890. Guillaume II avait souhaité profiter de la période européenne d’expansionnisme de la fin du 19e siècle, directement en concurrence avec l’Angleterre, la Russie et la France

Malheureusement pour lui et l’Allemagne, le Royaume-Uni avait, depuis fort longtemps, développé une véritable et puissante marine de guerre, lui permettant de prendre possession de nombreuses colonies, partout dans le monde. De plus, la reine Victoria, souveraine du Royaume-Uni jusqu’en 1901, était aussi la grand-mère du kaiser Guillaume II.

La France, qui n’avait pas su, comme l’Angleterre, saisir l’opportunité de développer une puissante marine de guerre, avait mis en place une politique de colonisation en Afrique et en Asie. Guillaume II souhaitait lui aussi, mais un peu tard, profiter d’une potentielle expansion territoriale pour l’Allemagne, notamment en Afrique.

En réalité, Guillaume II, en visant officiellement quelques territoires africains, ciblait secrètement une expansion en Europe et plus particulièrement en France et accessoirement en Russie.

Ne pouvant rivaliser avant 1914 avec la marine de guerre anglaise, Guillaume II s’est tout naturellement retourné contre la France affaiblie. Cette dernière, avec une population très nettement inférieure à celle de l’Allemagne, était pour Guillaume II, une « proie » plus abordable et à sa merci, compte tenu de l’état d’esprit de pacifisme et d’antimilitarisme qui régnait en France, sous la IIIe République.

 

2. La crise de Tanger en 1905

Si l’Algérie était clairement une colonie française depuis 1830, le Maroc n’avait pas le même statut au début du 20ᵉ siècle. Contrairement à l’Algérie où la population autochtone était essentiellement « nomade » au Maroc la population habitait des villes et des villages.

Le Maroc, bien que très proche de l’Espagne, cette dernière n’avait ni les moyens ni la volonté de le coloniser directement. Le Maroc avait tout simplement établi avec les différents pays limitrophes des opérations commerciales diverses. Or, en 1901, un négociant d’Oran fut assassiné sur la côte rifaine sans que les pouvoirs en place n’aient pu l’éviter et arrêter le coupable.

Ce crime fut l’excuse qui justifia l’intervention du ministre français des Affaires étrangères, Théophile Delcassé, pour proposer au Maroc une aide au maintien de l’ordre. Évidemment, cette intervention du ministre français, vivement critiquée par Guillaume II, fut aussi la raison invoquée officiellement de son déplacement à Tanger le 31 mars 1905.

Guillaume II, accompagné d’une escorte militaire imposante, fit, lors de son intervention théâtrale devant le sultan Moulay Abdelaziz, un discours virulent à l’encontre de la France et de ses intentions de « protectorat » vis-à-vis du Maroc.

Un incident diplomatique grave venait de naître officiellement sur la place internationale. Ce conflit fut réglé en avril 1905, à la conférence internationale d’Algésiras en Espagne. Des représentants des gouvernements des pays concernés assistèrent à cette conférence.

Les pays représentés étaient l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Maroc, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie et la Suède.

Soutenue par le Royaume-Uni, grande puissance maritime au fait des intentions belliqueuses de l’Allemagne, la France fut confirmée dans un « protectorat » du royaume chérifien. En contrepartie, l’Angleterre fut assurée par la France de son soutien à la colonisation britannique de l’Égypte.

Guillaume II, profondément frustré et vexé de la décision à cette conférence, obtint uniquement la démission du ministre français Delcassé.

Lors de cette conférence, l’Espagne, qui avait tardé à soutenir la France, ne bénéficia que des deux enclaves (Ceuta et Melilla) situées au nord du Maroc.

 

3. Un réveil tragique pour le monde

Alors que se préparait la conférence internationale d’Algésiras, la Russie subissait la destruction, par les Japonais, de sa base navale de Port-Arthur le 2 janvier 1905. Toute sa flotte du Pacifique fut coulée et, dans la foulée, en mai 1905, les 45 navires de la flotte russe de la mer Baltique furent, eux aussi, anéantis par les Japonais.

La France, mais aussi les grandes puissances du globe, se réveillèrent en constatant que le monde était tragique et que la menace d’une guerre était mondiale. Un contraste saisissant d’effroi, alors que la réalité apparut aux yeux du peuple français en 1905.

Les nombreux pacifistes français, majoritairement de gauche, inconscients ou par idéologie, refusèrent de voir pourtant ce qui était évident jusqu’à la veille de la déclaration de guerre par Guillaume II le 3 août 1914.

 

 

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