Révolution de 1789
1. Contexte de début
Au cours de l’année 1789, le comte d’Antraigues, bien que membre de la noblesse, était hostile à l’absolutisme royal de droit divin. En s’appuyant sur les idées rousseauistes de souveraineté populaire, décrites en 1762 dans le « Contrat Social » de Jean-Jacques Rousseau, il écrivait dans une brochure célèbre « Mémoires sur les états généraux » : « Les agitations intestines dans les républiques sont utiles à la liberté, elles éloignent la tyrannie ». Il représentait pourtant un excellent exemple de la quintessence de la pensée aristocratique et contre-révolutionnaire.
À l’opposé, l’abbé et député du Tiers-état Emmanuel-Joseph Sieyès, dans une autre brochure célèbre, éditée en janvier 1789, « Qu’est-ce que le Tiers-état » insistait à la fois sur la notion de souveraineté nationale, dont le principe résidait dans le troisième ordre (Tiers-état) et sur l’illégitimité de l’aristocratie. Ses origines ecclésiastiques et son expérience des assemblées de province l’ont naturellement orienté vers ce choix, « tout et rien que pour le Tiers état ».
Alexis de Tocqueville, dans son livre « L’Ancien Régime et la Révolution » de 1856, écrivait déjà concernant la société en France qui précède juste la Révolution de 1789 : « Les hommes n’y étant plus rattachés les uns aux autres, par aucun lien de caste, de classe, de corporation, de famille, n’y sont que trop enclins à ne se préoccuper que de leurs intérêts particuliers, toujours trop portés à n’envisager qu’eux-mêmes et à se retirer dans un individualisme étroit où toute vertu publique est étouffée ».
Je suis convaincu que les « hommes honnêtes et éclairés » du 21e siècle y retrouveront des similitudes profondes dans la physionomie contemporaine.
D’une façon criante, on distingue au XVIIIe siècle une haine réciproque, qui s’est installée profondément dans la société d’une part, entre les gentilshommes (la noblesse) et les bourgeois. Comme l’indique Alexis de Tocqueville « On se plaint avec beaucoup de justice du privilège des nobles en matière d’impôts ; mais que dire de ceux des bourgeois ? On compte par milliers les offices qui les exemptent de tout ou partie des charges publiques, milice, corvée, taille » et d’autre part, entre les bourgeois et les paysans, comme l’écrit Alexis de Tocqueville « Il n’y a rien de plus visible, pendant tout le dix-huitième siècle, que l’hostilité des bourgeois des villes contre les paysans de leur banlieue, et la jalousie de la banlieue contre la ville ».
Les « hommes honnêtes et éclairés » du 21e siècle pourront, là aussi, y retrouver beaucoup de ressemblance dans la société contemporaine.
La Révolution de 1789 s’est déclenchée en premier à Paris et non en province. Il faut savoir que Paris, depuis le règne de Louis XV, centralisant les pouvoirs administratifs, de la Finance, de l’Industrie et du « Savoir », était devenu le cœur de toute vie et d’initiative en France.
Comme le précisait Alexis de Tocqueville, dans son livre « L’Ancien Régime et la Révolution » « Paris, devenu de plus en plus le seul précepteur de la France, achevait de donner à tous les esprits une même forme et une allure commune ». À la fin du XVIIIe siècle, « entre…la noblesse et …la bourgeoisie,…tous les hommes placés au dessus du peuple se ressemblaient; ils avaient les mêmes idées, les mêmes habitudes, suivaient les même goûts, se livraient aux mêmes plaisirs, lisaient les mêmes livres, parlaient le même langage. Ils ne différaient plus entre eux que par les droits ».
Pour la réunion des États généraux de mai 1789, et pendant les élections des députés, appelés à y représenter le Tiers état, plus de soixante mille cahiers de doléances furent rédigés dans les villages, les bailliages, les bourgs et les villes (sénéchaussées). Ceux-ci étaient rédigés par des curés, des notaires, des avocats, des membres de sociétés de pensée ou des loges de francs-maçons, en vue d’être utilisés lors des futurs États généraux.
Ces cahiers de doléances, contenaient des revendications purement locales. Mais on y trouvait aussi des propositions plus globales, concernant surtout les soucis rencontrés par les bourgeois, la basse noblesse, les philosophes, les fonctionnaires, les gens qui ont une quelconque responsabilité à tous les niveaux de la société. On y trouvait que très rarement des soucis ou doléances en provenance du bas-peuple ou des paysans.
On y trouvait pêle-mêle des sujets relatifs à l’abolition des monopoles de la chasse, des moulins, des colombiers, souvent réservés qu’aux seigneurs, la suppression des lettres de cachet, bien que normalement réservées au roi, quelques ministres ou leurs commis en avaient injustement usé avec abus. Il était aussi question de la convocation périodique des États généraux, du consentement à l’impôt, la liberté d’expression, l’accès aux emplois publics, la réforme de la dîme pour le clergé, etc…
Malheureusement, un grand nombre de ces cahiers de doléances furent débattus, critiqués, ignorés voire contredits avant et pendant les États généraux. Cet immense travail, pour réunir le maximum de doléances, tant de la noblesse, du clergé que du Tiers état, fut peu utilisé.
La crédibilité des contenus, fut souvent remise en cause. De nombreux députés soupçonnaient la véracité des doléances exprimées, susceptibles d’influences locales, de corporations, de castes et surtout, de groupes de pression très actifs depuis le mois de février 1789, comme celui dirigé par Emmanuel-Joseph Sieyès, ou celui « piloté » par le duc d’Orléans.
Emmanuel-Joseph Sieyès recommandait, dans son article « Délibérations à prendre dans les assemblées de baillage » pour la rédaction de ces cahiers de doléances, dans toutes les sénéchaussées convoquées aux États Généraux, de s’en tenir à la Constitution à réaliser.
Son objectif était de porter le coup fatal à l’absolutisme et réserver les doléances qui divisent, comme des abus de la féodalité. Le résultat fut que les doléances principales et partout en France, présentaient une demande forte de l’abolition des droits seigneuriaux.
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent « Les États généraux » commencés début mai 1789, ont vite donné lieu à une séparation des trois corps (noblesse, clergé, Tiers état), puis une construction progressive d’une assemblée, à partir des députés du Tiers état. Cette assemblée se déclare « Constituante » le 17 juin 1789.
Louis XVI, constatant que la gestion des États généraux était en train de lui échapper, décida de faire une pause et fit fermer la salle, où se réunissaient les députés. Les députés, le 20 juin 1789, trouvant les portes fermées de la salle des Menus Plaisirs, décident de se réunir dans la salle du Jeu de Paume. Ils firent alors le serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France.
2. La suite des États généraux
Le 23 juin 1789, le roi, assistant à une assemblée plénière des députés, commence par résister à la pression des intervenants (Mirabeau, Sieyès, Bailly, Barnave, Mounier, Le Chapelier, etc…), ordonne aux états de siéger par ordre (diviser pour mieux régner). Après son départ, une partie des nobles et du clergé quittent aussi l’assemblée.
Cependant, les députés du Tiers état ainsi que quelques députés représentants le clergé et la basse noblesse, restent pour continuer les débats sans le roi. De toute évidence, ce coup de force institutionnel (les États généraux n’étant qu’une assemblée consultative) mettait à mal ce qui restait de la monarchie traditionnelle.
Cette rupture avec la tradition depuis le XVe siècle, souleva dans l’opinion un immense espoir, car on passa d’une représentation à l’ancienne de la nation, à une version moderne, fondée sur un corps politique unifié, représentant une majorité de citoyens.
Le 25 juin 1789, la majorité des députés du clergé et 47 députés de noblesse, y compris le duc d’Orléans (cousin du roi), se joignent aux députés du Tiers état.
Le 27 juin 1789, Louis XVI céda devant la défection de la majorité du clergé et d’une grande partie de la noblesse. Il ordonne à tous les députés du clergé et ceux de la noblesse de rejoindre les députés du Tiers état.
Le 9 juillet 1789, l’Assemblée se déclara Assemblée Nationale Constituante. La mission principale que s’est donné cette Assemblée est de préparer une Constitution, validant et décrivant le changement de Régime de l’État, incluant le roi et des représentants du peuple (les députés) réunis en une assemblée. Si à Versailles, l’assemblée de députés était dans la tourmente, en province, éclatèrent de nombreuses manifestations provoquées par la forte dégradation de la situation économique et sociale.
Le prix du pain augmentait de façon vertigineuse et jusqu’à atteindre, à Paris, son prix le plus élevé depuis 1715. Des émeutes ont éclaté à Cambrai, Valenciennes, Rouen, Dunkerque, en Bretagne, en Franche-Comté, en Provence, en Languedoc.
Pour parer à toute éventualité, Louis XVI fit converger vers la région parisienne une troupe de vingt-cinq mille hommes, avec une mission purement défensive, pour prévenir les pillages potentiels des marchés, des boulangeries et des convois ou entrepôts de farine.
Dans la troupe, comme dans la foule des grandes villes, un esprit révolutionnaire, savamment entretenu par des groupes organisés, se répandait. On a des traces écrites de plusieurs désertions et d’insubordination au sein de l’armée.
Le 12 juillet 1789, dans la capitale, après le renvoi de Necker, remplacé par le baron de Breteuil, ces groupes d’agitateurs probablement pilotés par le duc d’Orléans firent courir le bruit d’une intervention imminente de l’armée à Paris. L’objectif visé, pourtant par le roi et ses conseillers en plaçant l’armée aux environs de Paris, était de faire pression sur l’Assemblée de députés, réunie en vue de négocier un compromis.
À Paris, parmi ces groupes, dont certains étaient plus ou moins poussés par le duc d’Orléans, un jeune avocat aux idées violentes, Camille Desmoulins, franc-maçon, ami de Maximilien de Robespierre et du comte de Mirabeau, haranguait la foule dans les jardins du Palais-Royal, en l’appelant à l’insurrection.
Camille Desmoulins, était le fils de Jean-Benoit-Nicolas Desmoulins, seigneur de Bucquoy et de Sémery et lieutenant général du baillage de Guise en Picardie. L’ambiance surchauffée de Paris électrisait les foules.
Même situation, dans le jardin des Tuileries, sur la place Louis XV (future place de la Concorde), où cette foule, à laquelle s’étaient joints des déserteurs de l’armée, s’affronta avec les cavaliers du Royal-Allemand. Dans la soirée, les soldats réguliers se retirèrent du centre-ville et laissèrent la capitale aux mains des émeutiers. Les pillages se multiplièrent durant toute la nuit et dans tout Paris.
Le 13 juillet 1789, la capitale se réveilla au milieu de nombreux incendies et au son du tocsin. De nombreux entrepôts de farines ou ceux, prévus pour les nécessiteux, avaient été pillés et incendiés. Il en était de même pour l’hôtel du lieutenant général de police.
Cependant, un grand nombre de citoyens honnêtes et beaucoup de bourgeois ne voulaient à aucun prix de cette anarchie, ni même revenir à la situation précédente de l’absolutisme. Ceux-ci, en contre-révolution, des foules excitées par Camille Desmoulins ou le duc d’Orléans, décidèrent de créer un comité permanent à l’Hôtel de Ville.
Le comité prend le nom de « Commune de Paris » et désigne maire et président de cette assemblée, Jean Sylvain Bailly, député du Tiers état de Paris. Une milice bourgeoise de 48 000 citoyens, future Garde nationale, fut mise sur pied et elle chassa avec beaucoup de violence les pillards ou malfaiteurs pris en flagrant délit.
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