L’Assemblée à Bordeaux

1. Contexte avant cet épisode

1.1 En province

Avant l’arrivée à Paris des premières armées prussiennes, le gouvernement autoproclamé de la « Défense nationale » avait envoyé à Tours une « délégation gouvernementale » dirigée par Adolphe Crémieux, alors ministre de la Justice dans ce gouvernement. Léon Gambetta s’était enfui de Paris en ballon pour rejoindre Tours et, avec l’aide locale, celui-ci, essaya de reconstruire des armées pour continuer la défense contre l’invasion prussienne.

Léon Gambetta, en tant que jeune avocat, conscient de l’enjeu historique des événements en cours, suite à la défaite de Sedan, va chercher à dénoncer des « coupables » de préférence militaires, pour essayer de faire oublier les responsabilités des républicains du gouvernement, y compris les siennes, dans la stupide déclaration de guerre face à la Prusse.

Il va évidemment cibler Napoléon III suite à la défaite de Sedan, le maréchal Le Boeuf, l’ancien ministre de la Guerre, mais aussi et surtout le maréchal Bazaine, commandant l’armée de Metz (devenue l’armée du Rhin depuis le 12 août 1870), après la capitulation forcée de Metz.

Alors qu’on cherchait des volontaires dans toute la France pour constituer ces nouvelles armées, Léon Gambetta, en « trop bon » républicain, craignant une renaissance de la chouannerie en Bretagne, fut aussi responsable d’avoir volontairement négligé l’hébergement, l’armement, la nourriture et l’équipement de l’armée du général Kératry, composée de 60 000 volontaires bretons. Une partie importante d’entre eux fut décimée par la faim et la dysenterie.

Les quatre armées récemment constituées et dirigées par les généraux Aurelle de Paladines, Bourbaki, Chanzy, Faidherbe ont malheureusement fait « pâle figure » face aux armées prussiennes trop bien équipées et bien entraînées, ce malgré quelques petits épisodes « héroïques » à Orléans ou à Dijon.

En revanche, la place forte de Belfort, composée de sept forts, sous le commandement du colonel Pierre Philippe Denfert-Rochereau, opposa une résistance farouche et efficace. Elle fut assiégée durant cent quatre jours, par les quarante mille Prussiens du maréchal Helmuth Karl Bernhard von Moltke. Elle ne se rendit que le 18 février 1871,  sur ordre du gouvernement français, après la signature de l’armistice du 15 février 1871.

 

1.2 A Paris

Le gouvernement autoproclamé de la « Défense nationale » composé d’une quinzaine de membres dont 11 de la gauche parisienne et dirigé par le général Louis Trochu, ex-gouverneur de Paris, fit entrer dans l’enceinte parisienne le 7 septembre 1870, l’armée du général Joseph Vinoy composée de 40 000 hommes.

Le général Joseph Vinoy et son armée avaient participé à la bataille de Sedan, avec le maréchal Mac Mahon. Son armée, mobilisée tardivement après la déclaration de guerre, était alors située à Charleville-Mézières lorsque débuta la bataille de Sedan. Après la capitulation de Napoléon III, loin des armées prussiennes de Sedan, elle regagna la capitale, le 7 septembre 1870.

Le général Joseph Vinoy remplaça le général Louis Trochu au poste de gouverneur de Paris, suite à la démission forcée de ce dernier, le 20 janvier 1871. Le général Louis Trochu resta cependant président du gouvernement de la « Défense nationale ».

Le général Joseph Vinoy assista Jules Favre dans la négociation d’un armistice, contre l’avis de plusieurs ministres du gouvernement de la « Défense nationale« , incluant Léon Gambetta et partisans de la poursuite de la guerre. Une partie importante de la gauche bourgeoise parisienne, déjà dans le déni de réalité, souhaitait farouchement la poursuite de la guerre, alors que le pauvre « petit peuple » de Paris mourrait de faim et de froid.

Adolphe Tiers, orléaniste, qui avait été pressenti dans un premier temps pour devenir ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de la « Défense nationale » fut finalement mandaté par Jules Favre, le ministre des Affaires étrangères en place, pour faire le tour des capitales européennes en vue d’obtenir une médiation favorable, face au chancelier Otto von Bismarck.

Adolphe Tiers s’est rendu en vain à Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Florence avant de revenir à Tours le 21 octobre 1870.

Pendant ce temps, Paris affamé, dû subir un siège intense par les armées prussiennes, incluant des bombardements à partir des nombreux nouveaux canons Krupp, dont le chargement se faisait par la culasse. Les rares tentatives de la part des troupes parisiennes, aux ordres du général Louis Trochu, au Bourget, à Champigny et Buzenval furent vaines et inefficaces.

 

1.3 Naissance de l’empire allemand et capitulation de Paris

1.3.1 L’empire allemand et naissance de l’Allemagne

Comme le décrit si bien Jean-Christian Petitfils, dans son livre « Histoire de la France »  de 2018 :  » Le 18 janvier 1871, au château de Versailles, dans la galerie des Glaces, sous les ors flamboyants du Roi-Soleil, la France humiliée assista à la proclamation de l’empire allemand par le comte Otto von Bismarck, en uniforme blanc de cuirassier, devant tous les princes et officiers de l’armée, sabre au clair, brandissant leur casque à pointe en signe de victoire…  » « …L’unité allemande était enfin réalisée et Guillaume 1er, dans un tonnerre de hourras dix fois répétés, était proclamé Deutscher Kaiser, empereur allemand du second Reich. »

L’Allemagne est née ce 18 janvier 1871 … à Versailles. On ne parlera plus de la Prusse à partir de cette date.

Ce second Reich (Empire allemand) se terminera le 9 novembre 1918, suite à l’abdication de l’empereur Guillaume II et la proclamation de la République de Weimar, deux jours avant l’armistice de 1918 qui mit fin à la Première Guerre mondiale.

Pour mémoire, pour les « Germaniques » le premier Reich fut établi le 2 février 962, par le Saxon Otton. Alors, roi de Germanie depuis 937, il fut couronné à Rome, empereur d’Occident par le pape. Ce fut le premier empereur du futur « saint Empire germanique » qui lui-même deviendra « saint Empire romain » et établi dans une volonté de continuation de l’empire comme Charlemagne. Le 3e Reich fut instauré par le chancelier Adolf Hitler en 1933.

 

1.3.2 Capitulation de Paris et signature de l’armistice du 26 janvier 1871

La situation dans Paris sous le siège des « Allemands » et partout en France où la plus grande partie des villes occupées par les armées de l’envahisseur, était devenue intolérable. Le gouvernement de la « Défense nationale » a enfin décidé d’entamer les négociations qui amèneront, au final, au traité de paix.

Aussi, le 23 janvier 1871, Jules Favre, ministre des Affaires étrangères, rencontra le chancelier Otto von Bismarck au château de Versailles, pour connaître ses exigences. Celles-ci furent particulièrement contraignantes :

  • La France doit procéder à des élections pour la formation d’une assemblée devant ratifier la paix
  • Les forts qui entourent la capitale devront être remis au vainqueur
  • Les soldats défendant Paris doivent être désarmés
  • Les « Allemands » pourront entrer dans Paris
  • Paris devra verser une « rançon » de 200 millions de Francs
  • L’armistice est prévu pour une durée de trois semaines, pendant lesquelles seront négociés les préliminaires de paix

En plus de ces exigences, Bismarck aurait précisé à Jules Favre que toutes les zones d’opérations de l’armée de l’Est (les départements de la Moselle et d’Alsace) étaient exclues de l’armistice. Occupés, ces départements le resteront jusqu’en novembre 1918. Évidemment, Jules Favre « omettra » d’en informer le gouvernement de la « Défense nationale » et les armées françaises concernées.

Le 26 janvier 1871, le gouvernement français donna son accord et le contenu de cet armistice fut publié au Journal officiel, le 28 janvier 1871.

Le 6 février 1871, Léon Gambetta, en désaccord avec le contenu de l’armistice et la majorité des membres du gouvernement de la « Défense nationale » démissionna de son poste de ministre de l’Intérieur.

Le 8 février 1871, conformément aux exigences de l’armistice, se déroulèrent les élections des députés de l’Assemblée constituante. Cette dernière, pour des raisons de sécurité et de tensions intenses à Paris, fut tenue pour la première fois à Bordeaux.

 

1.3.3 Résultat des élections de l’Assemblée constituante de la 3e République

Contrairement aux espérances des républicains, le résultat des élections législatives de février 1871 donna une majorité écrasante aux monarchistes. Sur les 644 sièges pourvus, 396 revenaient aux monarchistes (214 orléanistes et 182 légitimistes), 20 aux bonapartistes, 78 aux libéraux, 112 aux républicains « modérés » et 38 aux républicains de gauche « radicale ».

Évidemment, les monarchistes, bien que majoritaires dans cette Assemblée, n’avaient toujours pas le désir de cohabiter entre orléanistes et légitimistes. La « trahison » de Louis-Philippe, duc d’Orléans et de son père le régicide, représentera définitivement la séparation entre ces deux tendances.

Léon Gambetta, Alexandre Auguste Ledru-Rollin et Louis Blanc furent élus chez les révolutionnaires de la gauche « radicale » alors que Jules Ferry, Jules Grévy, Jules Favre et Jules Simon étaient sous la bannière de la gauche « modérée ».

Dans le groupe des 78 « libéraux » se trouvaient, Adolphe Thiers, Jules Dufaure et Auguste Casimir-Perier.

L’Assemblée constituante, réunie dans le grand théâtre de Bordeaux, suite aux résultats de ces élections et incapable de statuer sur le régime de l’État à adopter, porta à sa présidence le républicain « modéré » Jules Grévy et confia à Adolphe Thiers les fonctions « provisoires » de « chef du pouvoir exécutif de la République française ».

Dans ces élections législatives, où les députés furent élus au suffrage universel, il était possible de se présenter dans plusieurs départements simultanément. Aussi, si à Paris la gauche radicale était en bonne position avec en tête Louis Blanc, Victor Hugo, Léon Gambetta ou Giuseppe Garibaldi, ce fut tout de même Adolphe Thiers, âgé de 74 ans, qui obtint le poste suprême de l’exécutif car celui-ci était arrivé en tête dans 26 départements.

D’un commun accord, par le « pacte de Bordeaux », les parlementaires ont accepté de traiter ultérieurement le sujet délicat du régime.

 

 

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Pour lire la suite, voir le chapitre « Moselle et Alsace annexées« …