Traité de Versailles
1. Contexte
Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale et l’Allemagne, fut, à certains égards, la « boîte de Pandore » du 20ᵉ et du 21ᵉ siècle. Résultat d’un long et très laborieux « accouchement » entre les 67 nations concernées, à peine signé, ce traité fut vivement critiqué par les peuples des nations vaincues.
Il le fut aussi par le Sénat américain opposé à leur président Wilson. En France, ce traité fut étonnamment perçu comme trop exigeant vis-à-vis de l’Allemagne par les députés socialistes français de la IIIe République.
L’armistice signé le 11 novembre 1918 et plusieurs fois « prolongé » apporta la fin de ce conflit en France et en Belgique. Il restait à signer un traité de paix entre vainqueurs et vaincus pour véritablement mettre fin à la guerre.
Cependant, le fait que le territoire allemand ne fut pas « souillé » par cette guerre engendra dans les esprits des Allemands une incompréhension et même un rejet sur le fait que l’Allemagne avait réellement perdu la guerre. Ce sentiment « injuste » vu du côté allemand perdura jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Avant 1914, les résolutions des conflits en Europe étaient gérées au sein du « concert européen » auquel participaient toutes les grandes nations comme la France, la Russie, le Royaume-Uni, l’Autriche-Hongrie, la Prusse devenue l’Allemagne en 1871. Jusqu’à cette époque, la langue diplomatique officielle dans les discussions au sein du « concert européen » et la rédaction des traités était faite en français.
Cependant, comme l’a fait remarquer Raymond Aron en 1981 : « La guerre de 14 avait commencé comme une guerre européenne. Elle était devenue mondiale vers la fin, par l’intervention des États-Unis […]. Du coup, la notion de concert européen appartenait à un passé révolu. »
Le président américain Woodrow Wilson avait annoncé, le 18 novembre 1918, qu’il participerait personnellement en Europe aux négociations de paix. Sa décision fut vivement critiquée par son opposition républicaine, qui lui reprochait de compromettre son « ascendant moral » et l’autorité des États-Unis. En Europe, la nouvelle n’a pas non plus été accueillie dans l’enthousiasme au sein des gouvernements français et britanniques.
L’organisation des travaux, autour de ce traité de paix, basée sur celle du « concert européen » s’en trouva fortement perturbée. D’autant que Wilson avait laissé entrevoir des exigences concernant les différences de vues entre ce qui se pratiquait en Europe dans le passé et ce qu’il voulait y imposer pour l’avenir.
Wilson ne voulait surtout pas limiter la voix uniquement aux grandes puissances, comme dans le cas des « concerts européens » et imposer un « ordre du jour » aux différentes réunions. De ce fait, il a provoqué un engorgement infini de sujets détaillés et contradictoires, débattus durant plusieurs semaines par de nombreuses commissions.
Ce système voulu par Wilson a engendré des centaines de réunions ayant toutes les difficultés du monde pour arriver à définir clairement des propositions. En finale, le conseil des « Dix » bien qu’assisté par des dizaines de commissions mises en place, reviendra après quatre mois infructueux à un conseil des « Quatre » comme dans les « concerts européens ».
Pour mieux comprendre ce qui a capoté dans ce travail de rédaction du traité et ses conséquences, il faut ici donner un éclairage sur les principaux personnages impliqués, responsables de ce désastre.
Ce traité fut le fait des nations victorieuses au détriment des vaincus. Hélas, toutes les nations victorieuses n’étaient pas considérées au même niveau, par les États-Unis et les Britanniques.
Par exemple, la Belgique, agressée par les Allemands depuis le 02 août 1914, avait réussi pendant quatre ans, grâce aux armées françaises et britanniques, à maintenir une partie de son territoire, libre des envahisseurs. La Belgique avait subi autant de pertes humaines que les États-Unis dans ce conflit. Elle ne fut pas, contre toute attente, conviée à la table des vainqueurs.
Très rapidement, les principaux pays impliqués dans la victoire essayèrent d’imposer leur vision totalement opposée dans la rédaction de ce traité. Les États-Unis étaient représentés par le président démocrate Woodrow Wilson. Georges Clemenceau, président du gouvernement et ministre de la Guerre, représentait la France. Le Premier ministre Lloyd George représentait le Royaume-Uni et enfin, le président du Conseil Vittorio Orlando représentait l’Italie.
Les autres pays alliés ou associés aux vainqueurs furent uniquement consultés pour avis sur les différents sujets concernés. Ce fut notamment le cas de la Serbie, de la Belgique, de la Grèce, du Japon, de la République de Chine, de Cuba, du Nicaragua, du Portugal, de la Pologne, du Panama, de la Roumanie, de Siam et de la Tchécoslovaquie.
Au-delà des aspects économiques et géopolitiques, tous les principaux personnages européens avaient une profonde culture de l’histoire de chaque pays. Le seul qui en était totalement démuni et pour cause, c’était le président américain Woodrow Wilson. Ce fut aussi la première fois, depuis un siècle, qu’un président des États-Unis se déplaçait à l’extérieur de ce pays.
En 1918, les États-Unis avaient à peine deux siècles d’existence, avec une histoire chaotique et particulièrement pauvre, comparativement aux vieilles nations d’Europe. Wilson, qui n’avait aucune culture de l’histoire européenne, ne pouvait pas comprendre les désidératas de ses peuples. Les Européens comprirent rapidement que Wilson ne voulait pas tenir compte de leurs soucis.
En fait, tout ou presque, dans la préparation à ce traité de paix, était voué à l’échec bien avant que le moindre travail ne soit commencé. En effet, du côté des principaux intervenants, il y avait une profonde différence dans l’interprétation des événements entre les « Européens » et les Américains.
D’autre part, les Allemands, via leur délégation mandatée pour la signature de ce traité de paix aux conditions des vainqueurs, étaient contraints d’y assister au plus tard le 28 juin 1919. La signature de l’armistice n’avait pas mis fin à la guerre, seule la signature du traité de paix le permettrait.
Les Allemands étaient très réticents à reconnaître leurs responsabilités dans le déclenchement de ce conflit, objet des articles 231 et 232 du traité de Versailles. Aussi, les Français les avaient menacés de reprendre immédiatement les hostilités sur leur territoire, en cas de refus.
Selon la volonté exacerbée du président Wilson, plus ou moins soutenue par le Premier ministre britannique et à tort par Clemenceau, tous les pays vaincus subirent des modifications de leur superficie, conformément à une interprétation théorique, vague et arbitraire du principe des « nationalités ».
Ce fut essentiellement à cause de cette folle interprétation sans véritable fondement que le monde fut malheureusement profondément transformé après 1919.
Toute la géographie des nations et des peuples de l’Europe centrale venait d’exploser, soit parce que certains étaient membres des nations vaincues, soit qu’ils étaient sous leur domination.
Toute la géographie de l’Europe va se trouver profondément modifiée après le traité de Versailles, mais hélas, pas de façon simple, logique ou humaine.
Presque toutes les nationalités, dans cette nouvelle Europe post–1919, furent manifestement déçues, laissant envisager de futurs conflits ayant pour source d’évidentes injustices liées à un découpage arbitraire. Wilson fut le principal responsable de cette mauvaise reconstruction des nouvelles nations d’Europe.
Parmi les pays vaincus, l’Allemagne, pourtant principale responsable de cette guerre, perdit seulement 90 000 km2, soit, à peine un huitième de sa superficie de 1914. L’Allemagne, contre toute attente côté français, conserva toutes ses capacités industrielles et démographiques, ce, au détriment de la sécurité future de la France.
La principale superficie tronquée de l’Allemagne fut agrégée à la recréation de la Pologne, qui avait été dissoute en 1795 dans les trois Empires. La nouvelle Pologne reçut aussi une grande superficie provenant de l’ancien Empire russe et une autre, plus petite, prélevée sur l’ex-empire d’Autriche-Hongrie.
L’Allemagne perdit aussi toutes ses colonies en Afrique, en Chine et dans le Pacifique, au profit des différents pays victorieux. Cependant, contre toute logique, la superficie de l’ancienne Prusse orientale, bien que séparée de l’Allemagne par le « couloir de Dantzig » devenu polonais, fut conservée.
Si l’Allemagne fut étonnamment « épargnée » ce fut l’ancien Empire d’Autriche-Hongrie qui perdit le plus, avec 60% de la superficie de son territoire. Une très grande partie, située au nord de l’ex-empire, fut transformée arbitrairement en un nouveau pays de 128 000 km2, appelé Tchécoslovaquie. Ce dernier, en 1992, se scinda en deux pays distincts, la Tchéquie et la Slovaquie.
Au sud de cet ex-empire, une autre grande superficie fut séparée et ajoutée à la Serbie, à la Bosnie et au Monténégro pour la création, là encore arbitrairement, d’un nouveau pays de 248 000 km2, appelé Yougoslavie. L’Autriche et la Hongrie, deux nouvelles républiques, furent définitivement séparées.
La Yougoslavie, en 1919, comprenait différentes ethnies diamétralement opposées dans tous les facteurs de la société. Ce nouveau pays était composé de Croates, de Slovènes, de Serbes et de Dalmates. Les tensions et émeutes y furent de plus en plus violentes jusqu’en 1980. Elles finirent par des conflits armés et la dislocation progressive de la Yougoslavie en sept pays totalement opposés.
Depuis 2003, la Yougoslavie a totalement disparu pour laisser place à la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie, le Kosovo, le Monténégro et la Macédoine du Nord.
À l’Ouest de l’ancien Empire russe, devenu l’U.R.S.S (Union des Républiques socialistes Soviétiques) en 1922, de nouveaux pays furent officiellement reconnus indépendants. Ceux-ci étaient la Finlande, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
La Grèce et la Roumanie, alliées tardives des franco-britanniques, récupérèrent des territoires du feu Empire austro-hongrois mais aussi de la Bulgarie et de l’ancien Empire ottoman. Ces deux derniers étaient alliés de l’Allemagne.
Tous ces découpages arbitraires et souvent contre-nature, furent l’objet de nombreux conflits et transformations durant tout le 20e siècle. Certains furent à l’origine de la Deuxième Guerre mondiale.
Malheureusement pour les nations européennes, en 1918, les États-Unis étaient devenus la première économie mondiale et ce fut la seule raison de les avoir à la table des négociations. La prospérité économique et financière des États-Unis était pourtant largement due à leur rôle de créancier des Britanniques et des Français pendant les quarante premiers mois de cette guerre, où les Américains étaient volontairement restés neutres.
Wilson, après sa tentative personnelle fin 1918 heureusement avortée, de court-circuiter les Français et les Britanniques, en vue d’une signature d’un armistice directement avec les Allemands, abusait de sa place à la table des vainqueurs. Il essaya en permanence d’imposer sa vision sur les événements en cours.
Le plus grave dans sa tentative de gérer seul la réalisation de cet armistice, fut que Wilson avait secrètement proposé aux Allemands une paix, sur la base de ses « 14 points » et sur « le droit aux nations de disposer d’elles-mêmes ». La proposition incongrue et unilatérale de Wilson était évidemment très favorable aux Allemands et n’apportait aucune information sur les responsabilités du conflit ni sur les réparations et dommages de guerre.
Wilson, probablement pour des raisons inavouables aux Européens encore en guerre avec les Allemands en 1918, n’avait pas, au préalable, discuté de sa proposition avec les Français et les Britanniques. En laissant ces derniers dans l’ignorance de ses secrètes propositions, Wilson fut ainsi responsable du rejet du traité de Versailles par le peuple allemand qui avait été sensibilisé par son programme en 14 points, véritablement peu contraignant.
Wilson, par ses initiatives irresponsables entraînant le rejet du traité de Versailles par les Allemands et la modification géographique des nations pour le respect des « nationalités« , était aussi, par voie de conséquence, partiellement responsable du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.
Wilson réussit cependant à imposer partiellement aux nations européennes son programme du « droit des nations à disposer d’elles-mêmes » résumé dans ses « 14 points de Wilson » et la création d’une SDN, Société des Nations, pour « soi-disant » éviter les guerres futures.
Le cauchemar pour la France avait commencé par le souhait utopique de Wilson de créer, dès 1918, la SDN. Profondément socialiste et très naïf, Wilson imaginait un monde en paix. Dans sa vision, étonnamment simpliste, tous les membres de cette SDN accourraient pour aider celui qui serait agressé. Une première fois ridiculisé aux yeux du monde entier, le premier pays à refuser son adhésion à la SDN fut les États-Unis.
La SDN (Société des Nations), devenue l’ONU (Organisation des Nations Unies) en 1946, a démontré son inefficacité totale depuis un siècle. Cette organisation n’a jamais pu éviter les guerres et n’a pas permis la résolution des conflits dans le monde.
Cette idée de fondation de la SDN, en 1918, était d’autant plus saugrenue que la guerre en Orient et précisément en Russie n’était pas achevée ou stabilisée.
Cependant, la création de cette SDN, à la demande du président américain, répondait à sa stratégie, de mettre en place un commerce mondial et libre, tel que parfaitement décrit dans ses 14 points.
Cet objectif fut le début, déjà en 1918, d’une volonté clairement affichée par les États-Unis, de construire un marché mondial sans barrières douanières. Ce marché devait se faire essentiellement à leurs profits et de ce fait, il fallait aplanir, voire effacer, toutes les contraintes que représentaient les vieilles nations européennes.
Les États-Unis, grâce à quelques « élites » françaises complices et aveuglées par leur idéologie, parviendront à mettre en œuvre dès la fin du 20e siècle un marché libre de concurrence dans toute l’Europe de l’Ouest. La construction de ce marché « européen » se fit hélas, au détriment de la France et contre la volonté de la majorité des Français, comme le prouve le résultat du référendum de 2005.
Néanmoins, au-delà de l’aspect purement idéologique, une question venait immédiatement à l’esprit. Comment cette SDN pourrait survivre et être efficace sans un budget important et une force militaire, à la hauteur de sa tâche. En 1918, les grandes nations européennes étaient exsangues et ruinées. Les États-Unis en 1919 étaient très loin d’avoir une force armée suffisante et compétente pour ce type de mission.
Clemenceau, hélas, concernant cette SDN, tomba dans le piège grossier tendu par Wilson. Clemenceau, alors âgé de 78 ans, rencontra de grandes difficultés pour s’en extraire, par manque de charisme, d’autorité et probablement, de volonté sincère. Le manque de compétence et de courage de Clemenceau durant le travail de ce traité de paix en fit un complice de Wilson dans cet échec retentissant et mémorable.
Contrairement aux soldats français, Clemenceau eut une attitude désastreuse pour la France en 1919. Il aura bien mérité le surnom « perd la Victoire » à l’issue de la signature de ce traité de Versailles. Malheureusement, son manque de persévérance concernant les indemnités de guerre fut copié et amplifié par d’autres chefs du gouvernement de la IIIe République, tels les socialistes Aristide Briand et Alexandre Millerand.
Évidemment, Wilson, comme le Premier ministre britannique, Lloyd George, comptait sur la naïveté et le pacifisme légendaire des gouvernements de la IIIe République française pour exploiter, à moindre coût, les forces militaires françaises. En 1919, parmi les grandes puissances, seuls, le Royaume-Uni, l’Italie et la France, naïvement, avaient adhéré à la SDN.
Concernant le traité de paix, les réclamations de Clemenceau étaient à l’opposé de Wilson. Il exigeait le retour en France des départements d’Alsace et de la Moselle, et d’autre part que l’Allemagne reconnaisse sa responsabilité dans cette guerre et qu’elle paye des indemnités pour les dommages causés en France.
Malheureusement, à cause des Américains soutenus par les Britanniques, mais aussi de certains membres socialistes du gouvernement français, ces indemnités ne furent jamais totalement payées. La France ne perçut que 9,5 milliards de marks-or sur les 132 milliards de marks-or que l’Allemagne devait payer au titre des dommages de guerre.
Le cauchemar pour les nations européennes ne s’arrêta pas là. Chez Wilson, sa culture générale de l’histoire du monde était bloquée sur l’idole insoupçonnée, Lénine, le leader bolchévique de la révolution russe de 1917. En effet, alors qu’il voulut défendre ses idées « révolutionnaires » de gauche pour le « bénéfice » des peuples, Wilson interviendra pour défendre son programme de « droit aux nations de disposer d’elles-mêmes ».
Malheureusement pour Wilson, le leader bolchévique Vladimir Ilitch Lénine avait, en 1903, développé longuement cette approche ultra-socialiste, dans le paragraphe 9 de son programme marxiste, déjà titré à cette époque « droit des nations à disposer d’elles-mêmes ».
Cependant, contrairement à Wilson qui, en 1918, défendait sa théorie d’États de « nationalités » plus fragiles, plus dociles et aisément soumis, dans un marché économique mondial, Lénine et Kautsky, dans leur programme marxiste, face à la spartakiste Rosa Luxemburg, préconisaient des États « Nationaux » indépendants.
Un comble pour ce président américain qui venait de plagier le leader bolchévique à la tête de la Russie communiste. Les auteurs de son programme avaient probablement pris la précaution de lui cacher les sources de leur travail.
Wilson avait, le 8 janvier 1918, présenté devant le Congrès des États-Unis un extrait de son programme pour « mettre fin » à la Première Guerre mondiale. Ce programme résidait en 14 points, repris plus bas, et préparé par un « groupe de travail » composé d’universitaires, fort probablement, comme lui, naïfs et de gauche socialiste.
À la lecture de ce programme, une question apparut dans l’esprit des publics. Les auteurs de ce programme, comme le président Wilson, avaient-ils fumé la « moquette » ? Évidemment, le Congrès ne pouvait valider un programme aussi utopique, mais Wilson, aveuglé par son idéologie, essaya malgré tout de l’imposer aux Européens en 1919.
Enfin, pour compléter le « tableau » Wilson, il fut celui qui refusa à Clemenceau, par deux fois de façon très ferme, le retour en France des départements de l’Alsace et de la Moselle. Opposé à Wilson, Clemenceau réclamait avec insistance ces territoires « irrédents ». Le Premier ministre britannique, Lloyd George, avait pourtant soutenu Clemenceau dans sa démarche.
Dans un extrait d’une conversation concernant les départements de l’Alsace et de la Moselle, entre Clemenceau et Wilson, ce dernier aurait dit au premier : « L’annexion à la France de ces régions n’a pas de base historique suffisante. Une partie de ces territoires n’a été française que pendant vingt-deux ans ; le reste a été séparé de la France pendant plus de cent ans ».
Cet objet relatif à la restitution de ces départements à la France était pourtant le huitième dans ses 14 points, signe flagrant d’une évidente insincérité de la part de Wilson.
Preuve aussi de son ignorance totale de l’histoire entre la France et l’Allemagne, il considérait que ces départements avaient été cédés en 1870 et qu’il était hors de question d’y revenir.
Wilson fut très attentif pendant les travaux de rédaction de ce traité, à ce qu’on ne cite pas un montant d’indemnité de guerre à payer par l’Allemagne. Durant cette guerre, les États-Unis, tout comme le Royaume-Uni, n’ont subi aucun dommage sur leur sol, contrairement à la France et la Belgique.
Clemenceau, représentant la France meurtrie, était pourtant en droit de demander au conseil des « Quatre » concernant le point des indemnités de guerre, en quoi Wilson avait-il la moindre légitimité pour imposer sa volonté ?
Il faut noter ici que Wilson, dans ses 14 points repris plus bas, ne parla pas de l’Allemagne post–1919. Le découpage de ce pays vaincu et ses responsabilités dans le déclenchement de ce conflit, tout comme les dommages de guerre vis-à-vis de la France et de la Belgique, y sont totalement absents.
Ce fut aussi le cas, concernant le problème pourtant central, de la sécurité future de la France, face à une Allemagne post–1919, dans laquelle toutes les forces économiques et industrielles étaient étonnamment conservées.
Dans le silence assourdissant et intriguant de Wilson relatif aux sanctions de l’Allemagne vaincue, le président américain, lors de la conférence de la paix, laissa définitivement planer un sérieux doute sur sa germanophilie. On savait hélas que cette sensibilité germanophile était largement partagée aux États-Unis au début du 20e siècle.
Wilson refusa aussi à l’Italie représentée par Vittorio Orlando, président du gouvernement italien, l’application des accords du pacte de Londres signé le 26 avril 1915, avec le Royaume-Uni et la France. Ainsi, l’Italie ne put récupérer toutes les terres « irrédentes » prévues dans cet accord. La position très dure et injustifiée de Wilson concernant la non-application du traité de Londres provoqua la scission au sein du conseil des « Quatre » et le départ définitif d’Orlando.
Wilson, durant la rédaction de ce traité, réagira toujours comme un banal comptable « américain » incapable d’élever son esprit et ses réflexions à la hauteur de cette lourde et noble tâche. En résumé, il ne fut vraiment pas à la hauteur de cette mission, mais hélas, seul le Congrès américain, en 1919, le savait.
Pour qu’un traité international soit adopté aux États-Unis, il fallait que celui-ci soit voté à la majorité des deux tiers par le Congrès. Dans ce dernier, en 1919, le Parti des républicains était majoritaire et totalement opposé au projet du démocrate et socialiste Wilson. Ce fut le second camouflé, pour ce dernier, car le Congrès des États-Unis refusa, en finale, de signer le traité de Versailles.
Fort heureusement pour les Français, un document, daté du 26 octobre 1870, retrouvé dans la correspondance de l’empereur allemand Guillaume 1ᵉʳ, apporta la preuve nécessaire. Dans ce courrier, Guillaume 1ᵉʳ, informait son épouse, l’impératrice, de son souhait d’acquérir les territoires de l’Alsace et de la Moselle, uniquement pour un besoin stratégique, afin d’obliger les armées françaises à reculer, en cas d’une nouvelle guerre.
En novembre 1918, seule la menace « bolchevique » toujours active en Russie et au sein des travailleurs socialistes allemands, hongrois, italiens et français, laissait planer un danger pour les démocraties d’Europe qui étaient incapables d’enrayer ce fléau.
Ce fut en Allemagne que le mouvement socialiste et « bolchevique » eut les premiers effets en proclamant la République de Weimar, le 9 novembre 1918. L’Empire allemand, responsable de ce conflit, devenait une République fortement influencée par les idées « communistes » et « bolcheviques » de la révolution russe.
Les Britanniques, d’abord contraints d’entrer dans cette guerre, avaient vu leurs deux armées résister très difficilement face aux Allemands, mettant souvent en péril la fiabilité du front. À chaque fois, ils furent secourus par les armées françaises. Les Allemands avaient très tôt décelé la faiblesse des armées britanniques, devenues le maillon faible du front à l’ouest.
Les Allemands avaient aussi misé sur la légendaire inimitié franco-britannique chez certains généraux des deux camps pour cibler leurs offensives. Dépourvu de ressources suffisantes en hommes, le Royaume-Uni avait dû solliciter ses colonies comme le Canada, l’Australie et l’Inde.
En finale, les armées françaises victorieuses sur tous les fronts avaient nourri une profonde crainte dans l’esprit des Britanniques. Hélas, ceux-ci voyaient d’un mauvais œil la France retrouver sa première place de puissance militaire en Europe, mais aussi dans le monde.
En 1918, sur tous les fronts, l’armée française avait démontré qu’elle était redevenue la première puissance militaire mondiale. Ceci joua aussi dans les négociations pour ce traité.
Les Britanniques, fortement affaiblis à l’issue de la Première Guerre mondiale et en pleine guerre d’indépendance irlandaise, sans doute pour des raisons financières et géopolitiques, se rangèrent souvent du côté des États-Unis, dans ce travail autour du traité de Versailles. Le Premier ministre britannique Lloyd George, en partageant les principales décisions de Wilson, fut lui-aussi responsable des conséquences de ce désastreux traité de paix.
Ce fut, hélas aussi, le cas pour les autres traités qui complétèrent celui de Versailles. Ces traités concernaient les autres pays alliés de l’Allemagne. Ce fut le cas pour l’Autriche avec le traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919, pour la Bulgarie avec celui de Neuilly du 27 novembre 1919. Il en fut de même pour la Hongrie avec le traité du Trianon du 4 juin 1920, pour l’Empire ottoman avec le traité de Sèvres le 10 août 1920 et enfin de celui de Lausanne, le 24 juillet 1923.
Les résolutions des divers conflits en Europe par le « concert européen » n’étaient pas parfaites, mais en finale, le traité de Versailles fut, sans aucun doute, le plus mal conçu depuis plus de deux siècles.
Les Américains, déjà en 1918, par leur intervention arbitraire et l’attitude souvent intransigeante du président Wilson dans la rédaction de ce traité, apportèrent leur lot de complications et de décisions injustes, vis-à-vis des vainqueurs de ce conflit. Ce fut le cas pour la Belgique ou l’Italie et, dans une certaine mesure, pour la France.
Cependant, la théorie Wilsonienne du regroupement par « nationalités » vis-à-vis des vaincus, excepté l’Allemagne, va entraîner de très nombreuses difficultés dans tous ces nouveaux petits pays où toutes les institutions étaient à reconstruire.
Pour le démocrate Wilson, les « coupables » devenaient des « victimes » à qui il fallait accorder « un droit de disposer d’elles-mêmes ». Les 12 millions de victimes européennes peuvent remercier le président Wilson pour son empathie flagrante, naïve, néanmoins coupable, vis-à-vis des principaux responsables de ce conflit.
2. Les 14 points de Wilson et la SDN
Évidemment, contrairement au titre de ce paragraphe, les 14 points ci-dessous furent le résultat d’un travail spécifique réalisé début 1918, par un groupe d’étudiants universitaires américains sous la direction de Walter Lippmann et Edward Mandell House. Ce travail a été réalisé à la demande express du président Woodrow Wilson, qui le compléta avant de le présenter aux Européens en 1919.
Les gouvernements français et britanniques rejetèrent immédiatement les deux premiers points, totalement incompatibles avec leurs politiques économiques et militaires. De nombreux éclaircissements furent demandés à Wilson, concernant les autres points. En finale, le plus important pour Wilson était que les alliés acceptent la création de la SDN, objet du 14ᵉ point.
Wilson, qui rêvait d’un monde en paix, utilisa ces 14 points pour avancer sa stratégie de libre-échange international, dans son esprit évidemment, principalement au profit des États-Unis. Ce marché mondial et libre ne pouvait fonctionner que dans un monde en paix. Aussi, pour contraindre les différentes nations à respecter la paix, il annonça unilatéralement la création de la Société des Nations, sans aucune concertation préalable, pas même au sein de son gouvernement.
Wilson compléta les cinq premiers points qui représentaient son « cheval de Troie » de neuf autres points, qui concernaient plus particulièrement l’Europe en guerre et ruinée. Concernant le découpage des nations vaincues, Wilson, par son manque d’écoute et de réalisme, ajouta des difficultés supplémentaires qui généreront de nouveaux conflits.
2.1 Les 14 points, résumé
- Diplomatie ouverte sans traité secret
- Libre-échange économique sur les mers en temps de guerre et de paix
- Conditions commerciales égales
- Diminuer les armements parmi toutes les nations
- Ajuster les revendications coloniales
- Evacuation de toutes les puissances centrales de la Russie et lui permettre de définir sa propre indépendance
- La Belgique évacuée et restaurée
- Retour de la région Alsace-Lorraine et de tous les territoires français
- Réajuster les frontières italiennes
- L’Autriche-Hongrie doit avoir la possibilité de s’autodéterminer
- Redessiner les frontières de la région des Balkans créant la Roumanie, la Serbie et le Monténégro
- Création d’un État turc avec garantie de libre-échange dans les Dardanelles
- Création d’un État polonais indépendant
- Création de la Société des Nations
2.2 Les 14 points dans le discours de Wilson
Wilson développa plus longuement ces 14 points dans son discours présenté aux Européens :
- « Des conventions de paix, préparées au grand jour ; après quoi il n’y aura plus d’ententes particulières et secrètes d’aucune sorte entre les nations, mais la diplomatie procédera toujours franchement et à la vue de tous. »
- « Liberté absolue de la navigation sur mer, en dehors des eaux territoriales, aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre, sauf dans le cas où les mers seraient fermées en tout ou en partie par une action internationale tendant à faire appliquer des accords internationaux. »
- « Suppression, autant que possible, de toutes les barrières économiques, et établissement de conditions commerciales égales pour toutes les nations consentant à la paix et s’associant pour son maintien. »
- « Échange de garanties suffisantes que les armements de chaque pays seront réduits au minimum compatible avec la sécurité intérieure. »
- « Un arrangement librement débattu, dans un esprit large et absolument impartial, de toutes les revendications coloniales, basé sur la stricte observation du principe que, dans le règlement de ces questions de souveraineté, les intérêts des populations en jeu pèseront d’un même poids que les revendications équitables du gouvernement, dont le titre sera à définir. »
- « Évacuation du territoire russe tout entier et règlement de toutes questions concernant la Russie qui assure la meilleure et la plus libre coopération de toutes les nations du monde, en vue de donner à la Russie toute latitude, sans entrave ni obstacle, de décider, en pleine indépendance, de son propre développement politique et de son organisation nationale ; pour lui assurer un sincère et bienveillant accueil dans la société des nations libres, avec des institutions de son propre choix, et même plus qu’un accueil, l’aide de toute sorte dont elle pourra avoir besoin et qu’elle pourra souhaiter. Le traitement qui sera accordé à la Russie par ses nations soeurs dans les mois à venir sera la pierre de touche de leur bonne volonté, de leur compréhension des besoins de la Russie, abstraction faite de leurs propres intérêts, enfin, de leur sympathie intelligente et généreuse. »
- « Il faut que la Belgique, tout le monde en conviendra, soit évacuée et restaurée, sans aucune tentative pour restreindre la souveraineté dont elle jouit au même titre que toutes les autres nations libres. Aucun autre acte isolé ne saurait servir autant que celui-ci à rendre aux nations leur confiance dans les lois qu’elles ont elles-mêmes établies et fixées, pour régir leurs relations réciproques. Sans cet acte réparateur, toute l’armature du droit international et toute sa valeur seraient ébranlées à jamais. »
- « Le territoire français tout entier devra être libéré et les régions envahies devront être restaurées ; le préjudice causé à la France par la Prusse en 1871 en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, préjudice qui a troublé la paix du monde durant près de cinquante ans, devra être réparé afin que la paix puisse de nouveau être assurée dans l’intérêt de tous. »
- « Une rectification des frontières italiennes devra être opérée conformément aux données clairement perceptibles du principe des nationalités. »
- « Aux peuples de l’Autriche-Hongrie, dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place parmi les nations, devra être accordée au plus tôt la possibilité d’un développement autonome. »
- « La Roumanie, la Serbie, le Monténégro devront être évacués ; les territoires occupés devront être restaurés ; à la Serbie devra être assuré un libre accès à la mer ; les rapports des États balkaniques entre eux devront être déterminés par un échange amical de vues basé sur des données d’attaches traditionnelles et nationales historiquement établies ; des garanties internationales d’indépendance politique, économique et d’intégrité territoriale seront fournies à ces États. »
- « Aux régions turques de l’Empire ottoman actuel devront être garanties la souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque, on devra garantir une sécurité absolue d’existence et la pleine possibilité de se développer d’une façon autonome, sans être aucunement molestées ; quant aux Dardanelles, elles devront rester ouvertes comme un passage libre pour les navires et le commerce de toutes les nations sous la protection de garanties internationales. »
- « Un État polonais indépendant devra être créé, qui comprendra les territoires habités par des populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devra assurer un libre accès à la mer ; leur indépendance politique et économique aussi bien que leur intégrité territoriale devront être garanties par un accord international. »
- « Il faut qu’une société des nations soit constituée en vertu de conventions formelles ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États. »
2.3 La Société des Nations (SDN)
Dans la démarche du président américain Wilson, en vue de mettre en place une paix durable notamment en Europe, il fallait créer une organisation internationale qui puisse garantir l’indépendance et le respect de chaque nation. Cette organisation baptisée SDN devait imposer un désarmement des nations adhérentes et une mutuelle protection en accordant des mandats aux grandes puissances pour intervenir comme « arbitre » dans des conflits potentiels.
Le principal objectif de Wilson visé par cette organisation était de mettre en place un traité de libre-échange commercial mondial dans un environnement de paix et évidemment principalement au profit des États-Unis. Cet objectif fut clairement annoncé dans les 4 premiers de ses 14 points de Wilson.
Cette organisation n’étant viable que si tous les pays y adhèrent en fournissant budget et armées pour assurer les opérations de police potentielles, si nécessaire. Totalement inefficace et sans l’adhésion des États-Unis, ses mandats furent accordés principalement aux Anglais et aux Français.
Elle fut dissoute en 1946, remplacée depuis juin 1945 par une autre organisation sous le nom de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Depuis cette date, le travail et les résultats de cette organisation, tout comme la SDN, furent totalement inefficaces, loin des objectifs premiers de Wilson.
3. Chronologie
Pour préparer le traité de paix, il fut décidé d’organiser une conférence de la Paix, à Paris, en 1919. Celle-ci débuta le 18 janvier 1919 et se termina en août 1919. L’objectif premier fixé à la conférence de Paris était d’arriver à conclure la signature avec l’Allemagne du traité de Paix à Versailles, le 28 juin 1919, date d’anniversaire de l’attentat de Sarajevo, origine du conflit. Ce traité de Versailles fut suivi d’autres traités avec les pays alliés de l’Allemagne.
À l’intérieur de cette conférence, il fut immédiatement créé un conseil supérieur des alliés, dont les réunions se déroulèrent à huis clos et comprenant, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon.
Ces cinq grandes puissances avaient pour vocation de s’occuper de tous les problèmes, aussi celles-ci furent représentées par deux délégués (« Conseil des Dix »), assistants à toutes les commissions. Ces délégués furent rejoints par des représentants des petites et moyennes puissances en fonction des sujets traités.
Très vite, les petites et moyennes puissances se révoltèrent à propos de la représentation des pays aux différentes commissions. Ce fut le cas de certains, comme la Belgique qui entendait assister à toutes les commissions, ou comme le Brésil qui remit en cause l’autorité implicite du président américain sur diverses décisions.
Tous les pays, ou les nationalités, du monde, suivant les vœux de Wilson, pouvaient librement participer aux diverses commissions dans le cadre de l’élaboration de ce traité de paix. Aussi, en plus des pays intervenus dans ce conflit mondial, de nombreux autres avaient souhaité intervenir et être représentés.
Le 27 janvier 1919, la commission devant s’occuper de la Société des Nations se réunissait. Elle fut suivie de la commission des puissances ayant un intérêt spécial. Parmi les délégués qui assistèrent à ces dernières, il y avait ceux de la Belgique, du Brésil, du Portugal et de la Serbie. Ils furent rejoints par les délégués de la Roumanie, de la Pologne, de la Grèce et de la Tchécoslovaquie.
Le « Conseil des Dix » créa dix-sept commissions qui vont elles-mêmes éclater en de multiples sous-commissions. Ces dernières furent elles-mêmes partagées en groupes de travail. Par exemple, la commission qui traita de la responsabilité des auteurs de la guerre compta trois sous-commissions. Ces dernières furent chargées de débattre des actes criminels, des responsabilités des auteurs de la guerre, de la violation des lois de la guerre.
La commission chargée des questions territoriales battra tous les records avec cinq sous-commissions incluant les affaires tchécoslovaques, les affaires polonaises, les affaires roumaines et yougoslaves, les affaires grecques et albanaises, les affaires belges et danoises.
Le « Conseil des Dix » perdit beaucoup de temps dans la démarche entreprise, qui aurait dû être focalisée en priorité sur le traité de paix avec l’Allemagne au lieu de se disperser dans les nombreux détails relatifs aux autres pays.
Le 14 février 1919, alors que la conférence pour la paix n’avait abouti à aucun résultat probant, Wilson quitta Paris pour rejoindre Washington. Il espérait convaincre le Congrès républicain et plus particulièrement le Sénat, fortement opposé à sa démarche en Europe.
Le 14 mars 1919, Wilson est de retour à Paris. Malheureusement pour lui, sa démarche auprès du Sénat américain fut un échec total. Son opposition républicaine, aux États-Unis, condamna le pacte de la Société des Nations et plus particulièrement son article 10 qui consistait en un engagement demandé aux États membres, contraire à la loi isolationniste (loi de Monroe) depuis 1823. Le Sénat rejeta par deux fois sa demande, confirmée le 3 mars 1919, par plus d’un tiers des Sénateurs.
D’une humeur exécrable, Wilson se rendit compte qu’il fallait impérativement accélérer les travaux du traité de paix. Compte tenu de ses déboires au Sénat américain, il envisagea l’obligation de lier le pacte de la Société des Nations au traité de paix. Ainsi, pensa-t-il, contraindre les Sénateurs américains à accepter la Société des Nations une fois le traité de paix signé.
En 1919, en Allemagne, en Hongrie, en Ukraine et en Pologne, la menace « Bolchevique » se fit de plus en plus pressante. Les révoltes y étaient fréquentes et violentes, d’autant que les problèmes liés à l’approvisionnement de nourriture dans ces pays étaient de plus en plus exacerbés.
En mars et avril 1919, la conférence de paix s’était embourbée dans les nombreux problèmes issus du découpage des nations au centre de l’Europe et les innombrables questions qui en découlaient liées au respect des diverses minorités.
Le 1er mai 1919, Wilson, au sein du Conseil des « Quatre » devenu « Trois » après le départ du président du Conseil italien Orlando, ouvre le débat sur la persécution des minorités juives en Pologne. Le débat fut rapidement clos après l’intervention du Premier ministre britannique, Lloyd George, qui plaçait les revendications des Juifs polonais dans une volonté affichée de construire un État dans l’État.
La commission qui fut chargée de s’occuper des obligations internationales relatives à la protection des minorités raciales et religieuses assura plus de 60 séances et dura sept mois. Ce retard supplémentaire incita le Conseil des « Trois » à inclure les dispositions retenues dans un traité spécial avec la Pologne.
De plus, suite à la volonté annoncée par Wilson de donner la possibilité aux nations de disposer d’elles-mêmes en fonction des « nationalités » les Autrichiens, majoritairement de langue allemande, déclarèrent officiellement leur volonté de rejoindre l’Allemagne.
Cette demande aurait pu, dans le cas d’un rapprochement par « nationalité » concerner aussi les trois millions d’Allemands de la zone des « Sudètes de Bohême » en Tchécoslovaquie. Hitler saura exploiter cette disposition relative aux « nationalités » en 1939.
Face à cette demande autrichienne partagée avec les Allemands, le Conseil des « Trois » fut confronté à l’absurdité et la naïveté de la philosophie wilsonnienne. L’Allemagne, en cas d’accord sur cette demande, aurait été nettement plus grande et plus peuplée qu’avant le début de la guerre.
À cette question, Wilson, bien que favorable à la volonté des Autrichiens, après le veto de Clemenceau et d’Orlando, demanda à reporter la décision ultérieurement par la Société des Nations. Ce fut l’article 80 du traité qui sera repris d’ailleurs en sa faveur par le chancelier Hitler en 1939.
Le 6 mai 1919, les nouveaux représentants de l’Italie furent présents à la conférence interalliée. En effet, le gouvernement dirigé par Orlando fut remplacé pour ne pas avoir réussi à défendre les intérêts de l’Italie dans les premiers débats du traité de paix.
Le 7 mai 1919, eut lieu la première réunion du congrès de la paix, à laquelle assistaient les plénipotentiaires allemands. Clemenceau, bref et hautain, leur présenta la situation et les dispositions de paix : « Messieurs les plénipotentiaires allemands, ce n’est ni le temps ni le lieu de prononcer des paroles superflues. […] L’heure est venue des lourds règlements de comptes. Vous nous avez demandé la paix. Nous sommes disposés à vous l’accorder. Vous allez recevoir le livre qui contient nos dispositions de paix » Les Allemands eurent quinze jours pour remettre leurs observations.
Durant tout le mois de mai 1919, les Allemands vont utiliser d’infinis prétextes ou réclamations pour éviter de signer le traité de paix en l’état qui leur est imposé. Évidemment, fortement déçus, ils constatèrent de profondes différences avec ce que Wilson leur avait fait miroiter, avec son programme en 14 points et basé sur « le droit aux nations de disposer d’elles-mêmes ».
Le 22 mai 1919, le délai accordé aux Allemands pour formuler leur réponse expira et ceux-ci sollicitèrent un délai supplémentaire. Il leur fut accordé sept jours de plus. Les Allemands, toujours réfractaires à la signature, apportèrent une réponse rédigée par un excellent juriste. Celle-ci commençait par remettre en question l’ensemble du dossier : « Le traité ne respecte pas les bases de la paix acceptées par l’Allemagne au moment de l’armistice, le droit de libre disposition des peuples est violé ».
À partir de ce moment, les Allemands vont adresser directement leurs remarques aux opinions publiques en Allemagne, mais aussi en France, au Royaume-Uni, en Italie et même aux États-Unis. Les Allemands souhaitaient prendre à témoin ces publics, qu’ils savaient sensibles à leurs revendications basées sur les 14 points de Wilson, surtout dans les opinions de gauche, majoritaires depuis la révolution bolchévique en Russie.
Entre le 2 et le 16 juin 1919, le Conseil des « Quatre » sensibilisé par les diverses pressions des opinions publiques, fut enclin à une crise relative aux différentes remarques et remises en cause du traité de paix. Cette crise se déroula essentiellement entre le Britannique Lloyd George et le Français Clemenceau sur l’attitude à tenir face aux Allemands qui persistaient à refuser les conditions du traité de paix, élaboré depuis plus de quatre mois.
Lloyd George, plus sensible à son entourage, était enclin à céder face aux Allemands. Clemenceau, conscient des nombreux dommages causés uniquement en France et en Belgique par les Allemands, restait ferme sur sa position concernant les « réparations » qu’il considérait comme dues.
Le 16 juin 1919, le Conseil des « Quatre » concéda aux Allemands deux concessions importantes dont l’une portait sur une zone géographique allemande, préalablement accordée à la Pologne, et une autre portant sur des conditions de réparations. Le même jour, le Conseil des « Quatre » demanda au maréchal Foch de préparer, pour les prochains jours, une intervention armée sur le territoire allemand. Les Allemands furent informés de cette programmation prévue pour le 23 juin 1919, si ceux-ci persistaient dans leur refus de signer le traité de paix.
Le 23 juin 1919, la réponse fut donnée par le nouveau gouvernement allemand, dirigé par le ministre des Affaires étrangères Hermann Müller, à la suite d’un vote largement favorable à l’autorisation de la signature. Celui-ci informa le Conseil des « Quatre » en précisant que « l’Allemagne déclare qu’elle cède à une force supérieure et que le peuple allemand ne cessera de considérer les termes de cette paix comme une injustice sans précédent ».
Le 28 juin 1919, la signature du traité de paix avec l’Allemagne se déroula au château de Versailles. Le même jour, fut signé le « petit traité de Versailles » aussi appelé « Traité concernant la reconnaissance de l’indépendance de la Pologne et de la protection des minorités ». Le Conseil des « Quatre » poursuivit son travail en vue de la signature des autres traités de paix avec l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et enfin l’Empire ottoman.
Le président américain Woodrow Wilson, après la signature du traité de Versailles, retourna aux États-Unis dans l’espoir, hélas improbable, de convaincre le Sénat de ratifier ce traité de paix et l’adhésion à la Société des Nations. Dans les faits, de nombreux Sénateurs étaient prêts à ratifier le traité de Versailles et l’accord de garantie à la France, mais ils étaient opposés à l’article 10 du Pacte de la SDN, dans lequel « Les membres de la Société [des Nations] s’engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure, l’intégrité territoriale et l’indépendance de tous les membres ».
Le 19 mars 1920, le Sénat américain, opposé à Wilson depuis 1918, refusa la signature du traité de Versailles et, par voie de conséquence, l’adhésion des États-Unis à la Société des Nations. Le « château de cartes » construit par le « Conseil des Quatre » s’écroula en un instant.
En effet, la SDN se retrouva de fait sans l’appui des États-Unis, impliquant son inefficacité et remettait en cause sa raison d’être. La France et le Royaume-Uni se retrouvèrent finalement seuls face aux mandats de la SDN évoqués dans le traité de paix de Versailles.
Pire encore, les garanties de protection de la France, pourtant promises par le président des États-Unis Wilson, en cas de nouvelle agression allemande, devenaient caduques suite au rejet du traité de Versailles. La France, dès 1920, profondément meurtrie et trahie, sera seule et affaiblie financièrement face à une Allemagne, restée forte et impunie à cause de ce traité de Versailles, véritablement imparfait.
Wilson, dès 1918, avait pris des engagements, vis-à-vis des vainqueurs européens, qu’il n’était pas, hélas, en mesure de tenir. Après son retour aux États-Unis, tel Ponce Pilate, il abandonna les vainqueurs et les vaincus à leur sort et à leurs soucis, dus en grande partie à ses décisions intransigeantes.
4. La question russe
Tout au long de la conférence de la paix, le « Conseil des Dix » fut obsédé, voire souvent contrarié, par deux dangers majeurs en cours durant l’année 1919. Le premier fut l’expansion et les incidences de la contagion du « bolchevisme » en Allemagne, en Hongrie et en Italie. Le second et non des moindres, fut la guerre civile en cours en Russie.
Ce fut dans les pays les plus pauvres de l’Europe que le « bolchevisme » en 1919 concentra ses plus nombreux adhérents. En Allemagne, après la proclamation le 9 novembre 1918 de la république de Weimar, ce fut la révolution de janvier 1919 qui fut à l’origine du renversement de plusieurs gouvernements, après l’abdication de l’empereur Guillaume II. Les communistes occupèrent plusieurs régions de l’Allemagne en imposant parfois des « gouvernements de soviets » comme en Bavière en avril 1919.
Diverses factions de communistes créèrent de nombreuses agitations en Italie, forçant le président du Conseil italien, Orlando, alors présent à la conférence de la paix à Paris, à retourner en Italie pour faire face à la menace bolchévique.
En Hongrie, les communistes dirigés par Béla Kun prirent le pouvoir en mars 1919, amplifiant les craintes de plus en plus importantes du « Conseil des Dix » vis-à-vis d’une contagion en Europe. En France, les prémices de ces révoltes, issues du communisme russe, émergèrent dans certaines régions industrialisées. Ces événements eurent des implications sur la rédaction du traité de Versailles.
Concernant la situation en Russie, où s’affrontaient l’Armée rouge « bolchevique » de Trotski et les Armées « blanche » de Koltchak, ou de Denikine, proches de l’ancien gouvernement tsariste, le « Conseil des Dix » tenta en vain plusieurs voies de conciliation.
Le « Conseil des Dix » fut continuellement tenté soit d’intervenir militairement, ce qu’il fit pourtant au nord de la Russie jusqu’en 1920, dans les régions de Mourmansk et Arkhangelsk, soit de négocier, hélas en vain, des accords avec les deux camps concernés. La situation militaire en Russie, au profit d’un camp puis de l’autre, évoluant sans cesse, le « Conseil des Dix » ne put intervenir efficacement.
Avec le recul de l’historiographie, nous pourrions être tentés d’expliquer d’une façon simple les hésitations du « Conseil des Dix ». Nous pourrions dire, d’une part, que celui-ci ne pouvait laisser se développer le « bolchevisme » en Russie, mais aussi et surtout dans les autres pays européens. Pour cela, le « Conseil des Dix » a tenté d’aider les armées « blanche » qui luttaient contre les communistes en Ukraine et en Sibérie.
Malheureusement, il fut aussi très difficile de négocier une stratégie équilibrée avec les dirigeants de ces armées, comme Koltchak ou Denikine. Enfin, à l’Est de la Russie, les armées japonaises profitèrent de la situation pour occuper diverses positions affaiblies et non protégées comme Vladivostok.
Cette situation conflictuelle en Russie eut des conséquences importantes dans les traités de paix signés à Versailles ou dans la région parisienne, concernant les frontières des pays concernés comme la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Roumanie. Ce fut d’autant plus compliqué dans les négociations avec Lénine que ce dernier refusait, parce qu’il escomptait une extension de la révolution russe aux pays européens.
Cette situation instable aux frontières de ces pays et de la Russie apporta son lot de complications tout au long du 20e siècle. Concernant ce point précisément, on mesura dès 1920, avec la guerre russo-polonaise, l’imperfection du travail réalisé par la conférence de la paix et surtout l’inefficacité de la SDN, pourtant tant réclamée par le président américain Wilson.
La situation en Russie, en 1919, souleva une autre incertitude relative à un potentiel accord germano-russe pour les années suivantes. En effet, il ne faut pas oublier que la révolution bolchevique d’avril 1917, suivie du coup d’État d’octobre 1917, devait sa réussite grâce aux implications des Allemands et du juif russe Izrael Lazarevic alias Parvus.
Ces derniers avaient assisté Lénine et son équipe, sur le plan financier et militaire, avec l’objectif de renverser le tsar et ainsi éliminer le seul opposant sur leur front à l’Est. De plus, de nombreux travailleurs ou soldats allemands étaient devenus sensibles aux théories de Lénine. Hitler saura exploiter cette faille en 1939.
5. Les traités avec les alliés de l’Allemagne
5.1 Le traité de paix avec l’Autriche
Comme pour les Allemands, le traité de paix spécifique avec l’Autriche fut présenté au château de Saint-Germain-en-Laye, le 10 septembre 1919, à la délégation autrichienne. Celle-ci était conduite par le Premier ministre Karl Renner de la première et toute nouvelle république autrichienne.
Du « Conseil des Quatre » seuls étaient présents le président du gouvernement français, Clemenceau et le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur Balfour. Les États-Unis, après le départ du président Wilson, étaient représentés par un obscur sous-secrétaire d’État ; quant à l’Italie, après le départ du président du conseil italien Orlando, écarté du pouvoir, ce fut le Sénateur Tommaso Tittoni qui le remplaça à Saint-Germain-en-Laye.
Un des éléments majeurs, qui fut à l’origine de la dislocation importante de l’ex-empire d’Autriche-Hongrie, contrairement à l’Allemagne, fut que le « Conseil des Quatre » était majoritairement d’obédience « protestante » ou viscéralement anticlérical comme Clemenceau, bourgeois de la gauche radicale. Ce dernier était profondément hostile à la dynastie des Habsbourg, qu’il classait comme une « dynastie papiste ».
La superficie de la nouvelle nation autrichienne a été fortement réduite et ses nouvelles frontières ont été clairement définies. Les Autrichiens, majoritairement de langue allemande, furent interdits de demander leur réunification avec l’Allemagne (l’Anschluss), malgré la philosophie « des nationalités » imposée par Wilson. Le chancelier Hitler reviendra en 1939 sur la fusion des populations de langue allemande en Autriche et dans les Sudètes.
La superficie de la Cisleithanie, regroupant les territoires sous la tutelle de l’ex-Autriche, fut démembrée pour donner naissance à sept nations distinctes : la République d’Autriche, la République Tchécoslovaque, l’État des Slovènes, Croates et Serbes, la Pologne, la Roumanie, la République populaire d’Ukraine occidentale et une partie revenant au Royaume d’Italie.
Concernant le chapitre des « responsabilités » il fut impossible d’imputer à l’ex-empereur d’Autriche-Hongrie, Charles 1er, la responsabilité de la guerre, contrairement à l’ex-empereur d’Allemagne, Guillaume II. Au moment de la déclaration de guerre, l’empereur d’Autriche-Hongrie était François-Joseph 1er, décédé le 21 novembre 1916.
Concernant le chapitre des « réparations » il fut décidé de faire comme dans le cas du traité de Versailles, dans lequel, le montant des dommages de guerre fut reporté à la responsabilité d’une commission spéciale devant se réunir, en mai 1921. En fait, après cette date, il devenait évident que la nouvelle république d’Autriche, réduite à moins de 6 millions d’individus, ne pourrait payer la moindre indemnité. Elle en fut donc officiellement dispensée.
La république autrichienne n’avait pas, contrairement à sa voisine la république de Hongrie, basculé vers le « bolchevisme » ce qui joua en sa faveur concernant l’exonération du paiement d’indemnités de guerre.
5.2 Le traité de paix avec la Hongrie
Le traité de paix spécifique avec la Hongrie fut présenté au Grand Trianon de Versailles, le 4 juin 1920, à la délégation hongroise. Contrairement à l’Autriche, la nouvelle république hongroise, dirigée par le communiste Béla Kun depuis mars 1919, était très mal vue par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Les conflits armés entre les communistes hongrois et leurs voisins Roumains, Tchèques et Yougoslaves persistaient encore en fin d’année 1919.
Le 3 août 1919, les troupes roumaines entraient à Budapest alors que les Yougoslaves et les Tchèques pénétrèrent profondément en territoire hongrois. Ce ne fut qu’à partir de novembre 1919 que fut installé en Hongrie un gouvernement stable, permettant le retrait des armées étrangères.
Le 1er décembre 1919, le « Conseil des Quatre » invita le gouvernement hongrois à envoyer à Paris sa délégation. Celle-ci, conduite par le comte Albert Apponyi, fut logée au château de Madrid à Neuilly-sur-Seine, le 5 janvier 1920. Ce fut au cours d’une brève cérémonie au Quai d’Orsay de Paris que cette délégation reçut le texte du traité de paix avec les conditions concernant la procédure de négociation.
Clemenceau quitta le gouvernement français, le 18 janvier 1920. Il fut remplacé par le socialiste Alexandre Millerand. Aussi, la délégation hongroise jouait la montre pour répondre au « Conseil des Quatre » en prétextant des difficultés rencontrées avec les divers mouvements bolcheviques. L’arrivée de Millerand au sein du « Conseil des Quatre » était une excellente nouvelle pour les Hongrois, car ces derniers le savaient particulièrement perméable à leurs soucis.
Ce fut le cas dans la réponse du « Conseil des Quatre » le 6 mai 1920, aux contre-propositions hongroises. Millerand était favorable à une amélioration du sort de la Hongrie au nom de la lutte contre le bolchevisme. Aussi, concernant des problèmes potentiels de frontières avec les pays voisins, il fut décidé de faire intervenir la Société des Nations, en cas de besoin.
Néanmoins en ce qui concernait les réductions de superficie, la Hongrie de 1914 perdit la Slovaquie au nord, ainsi qu’une partie incluant des Hongrois ajoutée à la Tchécoslovaquie. À l’est, la Hongrie perdit la Ruthénie incluse dans la nouvelle Tchécoslovaquie et la Transylvanie ajoutée à la Roumanie. Au sud, la Voïvodine et la Croatie furent annexées au royaume des Serbes, privant la Hongrie d’un accès à la mer adriatique.
Après la « découpe » arbitraire de la Hongrie, sur les 48 millions d’habitants en 1914, celle-ci en 1920, perdant 70% de son territoire, n’avait plus que 8 millions d’habitants, dont 6 millions seulement de Hongrois. Ce fut un traumatisme pour les Hongrois qui garderont jusqu’au 21ème siècle, les décisions des traités de paix de 1919-1920, comme profondément injustes et dans lesquelles la France avait un rôle principal.
5.3 Le traité de paix avec la Bulgarie
La Bulgarie fut le seul pays des Balkans à avoir participé à la Première Guerre mondiale aux côtés des Allemands. En s’engageant en septembre 1915, la Bulgarie espérait récupérer les territoires qu’elle avait perdus pendant la seconde guerre balkanique de 1913.
Malheureusement pour les Bulgares, les Allemands, comme les Autrichiens, trop occupés sur les fronts à l’est et à l’ouest, ne purent vraiment les soutenir en fournissant armes et munitions à leurs armées faiblement équipées. Les Bulgares, vaincus face aux armées alliées françaises et serbes, durent capituler le 29 septembre 1918. Le roi Ferdinand de Bulgarie dut abdiquer le 3 octobre 1918, au profit de son fils aîné Boris, âgé de 24 ans, qui deviendra le roi Boris III.
En juillet 1919, la délégation bulgare fut invitée à se rendre à Paris. Logée dans un hôtel à Neuilly, elle attendra plus de deux mois qu’on lui remette le projet de traité de paix. Ce dernier informa la délégation, en septembre 1919, que la Bulgarie perdait la région de Dobroudja sud au profit de la Roumanie et la région de la Trace occidentale qui était donnée à la Grèce. Cette dernière région lui coupait l’accès à la mer Égée.
Côté « réparations » la Bulgarie a dû payer de fortes sommes dans le cadre des dommages de guerre, l’amenant rapidement en situation de défaut. Malgré les efforts en vain de la délégation bulgare, le traité de paix fut signé à l’hôtel de ville de Neuilly, le 27 novembre 1919.
5.4 Les traités de paix avec la Turquie
Les modifications de l’Empire ottoman imposées, dans le traité de paix de Sèvres du 10 août 1920, modifiées par celui de Lausanne le 24 juillet 1923, nécessitent ici quelques précisions. En effet, certaines d’entre elles furent à la source de plusieurs conflits au Moyen-Orient, durant le 20e et même le 21e siècle. L’Empire ottoman, vaincu par les alliés, avait signé l’armistice de Moudros en octobre 1918.
La défaite des armées turques face aux armées commandées par le général français Louis Franchet d’Espérey, pendant la Première Guerre mondiale, sonna le glas de l’Empire ottoman.
Avant la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman subissait depuis un siècle un affaiblissement économique et militaire très important. De ce fait, de nombreux pays, souvent proches géographiquement, mais pas que, convoitaient d’étendre leur superficie au détriment de cet empire.
Ce fut le cas, par exemple, de la Russie tsariste en 1877 et 1878, de l’Autriche-Hongrie en 1878, du Royaume-Uni qui occupa l’Égypte en 1882 ou encore de l’Italie qui prit possession de la Libye entre 1911 et 1912.
D’autre part, les Britanniques et les Français, conscients de l’effondrement de l’Empire ottoman depuis 1914, avaient envisagé de prendre possession de certaines colonies ottomanes au Moyen-Orient. Des accords secrets échafaudés et signés le 16 mai 1916, entre la France, représentée par François Georges-Picot, et le Royaume-Uni, représenté par Mark Sykes, prévoyaient le partage entre ces pays de plusieurs zones géographiques importantes du Moyen-Orient.
Les Britanniques étaient sollicités depuis le début du 20e siècle par un puissant lobby juif américain, relayé au Royaume-Uni par le banquier Walter Rothschild et le chimiste Chaim Weizmann, en vue de créer un État juif dans les territoires de la Palestine.
Un document, daté du 2 novembre 1917, signé par lord Arthur Balfour, secrétaire d’État aux affaires étrangères britanniques, adressé directement à lord Walter Rothschild, personnalité de la communauté juive à Londres, atteste l’implication du gouvernement anglais dans ce projet.
L’Empire ottoman était vacillant tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. À l’intérieur, le sultan Abdülhamid II, qui régnait d’une main de fer depuis 1876, s’était mis à dos tous les musulmans non sunnites et les nationalistes arméniens. Une des réactions extrêmement violentes du sultan fut le premier massacre de 200 000 Arméniens entre 1894 et 1896.
Plusieurs organisations comme les « Jeunes-Turcs » se soulevèrent violemment, créant émeutes et révoltes sanglantes de 1896 à 1909. Ces dernières furent la cause du renversement du sultan Abdülhamid II, le 24 avril 1909, qui fut remplacé par son frère, Mehemed V. Ce dernier fut à son tour remplacé par Mehemed VI de 1918 à 1922.
En avril 1920, un groupe puissant d’opposants, dirigé par Moustafa Kemal Atatürk, manifesta contre le contenu du futur traité de paix de Sèvres. Ce groupe y dénonçait le « dépeçage » de l’Empire ottoman. Après la Grande assemblée nationale de Turquie d’avril 1920, il était devenu le représentant officiel de la future république de Turquie. Il fut soutenu par la France et la Russie bolchevique, contre les troupes grecques ou arméniennes et les armées d’occupation britanniques et italiennes.
En 1921, la France signa différents accords avec le nouveau gouvernement kemaliste tout en lui vendant des armes. Les armées kemalistes remportèrent de nouvelles victoires en septembre 1922, face aux Grecs et aux nationalistes arméniens. Ce qui obligea les alliés à renégocier le contenu du traité de Sèvres, qui ne fut jamais ratifié par les Turcs.
En 1922, il y avait deux gouvernements concurrents en Turquie. Ce fut finalement celui dirigé par Moustafa Kemal Atatürk qui s’imposa et qui assuma les négociations avec les alliés, en vue de signer enfin le traité de paix, suite à la défaite des armées turques en 1918.
Après des mois de tractations, le traité de paix avec la Turquie fut enfin signé à Lausanne, le 24 juillet 1923. Ce traité officialisa le gouvernement d’Atatürk, installé à Ankara. Il fut signé par les nations victorieuses dont, la France, le Royaume-Uni, le royaume d’Italie et l’Empire du Japon. Il fut aussi avalisé par le royaume de Grèce, le royaume de Roumanie, le royaume de Serbes, Croates et Slovènes, et par le royaume de Bulgarie.
Dans ce traité, les Turcs reconnaissaient la perte de certains territoires et le transfert obligatoire de populations entre la Grèce et la Turquie. Les alliés, contrairement à ce qui était prévu dans le traité de Sèvres, renoncèrent à imposer l’indépendance de l’Arménie et du Kurdistan.
Les territoires perdus de l’ex-Empire ottoman furent Chypre, le Dodécanèse, la Syrie, la Palestine, l’Arabie, la Jordanie et l’Irak. Certains de ces territoires passèrent sous la responsabilité de la France ou du Royaume-Uni, à qui la SDN avait confié des mandats de police ou de gestion. Par exemple, la Palestine, la Transjordanie et l’Irak furent sous la responsabilité du Royaume-Uni et la Syrie et le Liban furent confiés à la France.
6. Les conséquences
Un sentiment de « flou » et « d’insécurité » régnait dans les différents gouvernements européens, après ce traité de Versailles. Ce sentiment fut amplifié par la faiblesse de la SDN nouvellement créée, sans les moyens financiers et militaires des États-Unis.
Pour presque toutes les nations concernées, le travail autour de ce traité de paix n’était pas terminé, ou plutôt « mal terminé ». Pour compléter ce tableau, la situation en Russie ne permettait pas d’envisager un avenir serein dans les pays frontaliers, comme la Pologne ou la Hongrie.
Les pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale étaient insatisfaits et les pays vaincus particulièrement déçus et aigris. Bref, ce traité fut un échec total, à l’exception peut-être du Royaume-Uni dont le territoire n’avait pas été violé et qui avait récupéré une partie importante de la flotte de guerre allemande.
Après le traité de Versailles, s’ouvrait une période incertaine dans toute l’Europe. Le bolchevisme continuait sa migration à l’intérieur de la Russie, mais aussi, dans les populations « ouvrières » des pays frontaliers. Il fut à l’origine de diverses révoltes sanglantes en Allemagne et en Hongrie. En France, il fut à l’origine du communisme qui donna naissance en 1920 au Parti communiste français (PCF). Il fut surtout une menace mortelle pour la Pologne, pour laquelle la SDN était impuissante et donc inutile.
Des Allemands revanchards ne furent pas en reste, sournoisement, ils tentèrent après 1920, de nombreux coups de force pour déstabiliser divers corps d’armées françaises, sur les frontières du Rhin. D’autres Allemands, tout autant aigris par la défaite de l’Allemagne, conspirèrent en Pologne au profit des armées bolcheviques.
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Pour lire la suite, voir le chapitre « L’alerte de 1920 et ses conséquences » …