Les 100 jours

1. Contexte précédant cet épisode

1.1 Sur l’île d’Elbe

Par le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814, Napoléon se voyait offrir, pour son retrait du pouvoir à la tête de la France, la souveraineté viagère de l’île d’Elbe, située entre la Corse et la côte italienne. Il conservait son titre d’empereur, avec une pension annuelle de 2 millions, versée par le gouvernement français.

Son épouse, Marie-Louise, recevant pour sa part comme résidence, le duché de Parme. Elle ne rejoindra jamais Napoléon sur l’île d’Elbe, malgré ses nombreuses lettres d’invitation.

Marie-Louise, âgée de vingt-deux ans, accompagnée de son jeune fils Napoléon II (surnommé l’Aiglon par certains historiens), après un bref séjour à Blois puis à Aix-les-Bains, avec son nouvel amant le comte Neipperg, finira par rejoindre ses parents, à la cour impériale de Vienne. Elle laissera son fils à Vienne, sous la responsabilité de la cour impériale, et rejoindra seule le duché de Parme, où elle décèdera le 17 décembre 1847.

Le comte Adam Albert de Neipperg, alors âgé de quarante ans en 1814, ancien officier autrichien, parlant couramment le français, a été l’instigateur principal auprès de Bernadotte pour que la Suède rejoigne la coalition anti-France de 1813. Il est l’un des espions de Metternich en 1814, missionné pour « retourner » le roi Murat contre Napoléon. Il réussira aussi cette mission, confirmée par le traité secret signé avec l’Autriche.

En août 1814, après l’abdication de Napoléon, il sera missionné par l’empereur d’Autriche pour accompagner Marie-Louise, l’épouse de Napoléon, à Aix-les-Bains, puis la distraire et lui faire oublier son époux. Il réussira tellement bien cette mission, qu’il finira par vivre avec Marie-Louise au duché de Parme et l’épouser en 1821, juste après la mort de Napoléon.

Arrivé sur l’île d’Elbe le 4 mai 1814, Napoléon sera vite rejoint par quelques généraux fidèles et sa garde personnelle de 600 grenadiers. Présenté comme le roi de l’île aux responsables de la population locale, composée d’environ 20 000 personnes, Napoléon prendra son mal en patience et s’évertuera à transformer l’île pour en faire un domaine agréable à vivre, tout en renforçant les défenses contre toute invasion.

Lui-même, sera logé aux Mulini, bâtisse un peu fruste, qui domine la « capitale » de l’île. Il fera aménager cette demeure, pour pouvoir recevoir et abriter son épouse Marie-Louise.  Sa mère Letizia et sa sœur Pauline le rejoindront à partir d’août 1814.

En septembre 1814, Napoléon aura la visite de Marie Walewska, sa maîtresse polonaise et mère de son deuxième fils, Alexandre, né en 1810. Ce dernier deviendra quarante années plus tard ministre des Affaires étrangères de Napoléon III.

Napoléon, depuis son arrivée sur l’île d’Elbe, se tiendra étroitement informé des événements qui se déroulent en France, sous la nouvelle monarchie de Louis XVIII. Il suivra avec beaucoup d’attention les conflits entre le gouvernement royaliste et les militaires, mais aussi avec la paysannerie et le peuple. Il sera largement informé des tentatives, d’enlèvement ou d’assassinat le concernant, échafaudées par Talleyrand ou les royalistes.

Fin décembre 1814, Napoléon commence à songer sérieusement à un retour en France. Il lui faut attendre le bon moment, le signal en provenance du destin. Ce signal arrivera le 12 février 1815, avec l’arrivée très discrète sur l’île d’Elbe de Fleury de Chaboulon, envoyé par le fidèle Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano et ancien chef de cabinet de Bonaparte, alors Premier Consul. Cet émissaire non officiel apportera toutes les réponses aux questions que se posait Napoléon.

Est-ce le bon moment ? Aura-t-il le soutien des armées ? Aura-t-il le soutien de la population ? Napoléon pressentait déjà la réponse affirmative à toutes ces questions, mais il lui fallait un avis extérieur et réellement au fait de la situation en France, pour les confirmer.

C’est dit, Napoléon a pris sa décision. Tel Achille avant l’épopée de Troie, Napoléon, qui se sentait investi d’une grande mission pour la France depuis sa formation d’officier du roi, à l’école militaire de Brienne, s’engage dans un avenir fort probablement tragique pour lui. Il le sait, il le ressent, mais il le doit à la France, il le doit à l’Histoire.

Il était hors de question pour lui qu’il laisse la France et son peuple retourner au néant, comme avant la Révolution de 1789. Lui qui a remporté plus de cent batailles dans toute l’Europe et qui en a perdu deux seulement.

La première, à cause du soldat « hiver » russe, pendant la Campagne de Russie et la seconde, après la sixième coalition anti-France et la Campagne de France en 1814. Il était alors à la tête de son armée de seulement 60 000 hommes, face à celle des coalisés, composée de plus de 400 000 hommes.

Se sachant continuellement espionné par le commissaire anglais Neil Campbell, Napoléon devait concilier ses préparatifs de départ hors des yeux et des oreilles de cet espion. D’autre part, informé de l’état d’avancement des travaux du congrès de Vienne, il fallait aussi profiter, si possible, de la séparation des coalisés, afin qu’ils n’aient pas le temps de se concerter pour réagir.

Or, Campbell quitta l’île d’Elbe le 16 février 1815, pour rejoindre sa maîtresse à Florence. Il devrait y séjourner durant huit jours.

Napoléon, comme à son habitude, a tout organisé en secret avec quelques fidèles. Le dimanche 26 février 1815, sera le départ de l’île d’Elbe. Après avoir « travesti » les navires qui embarqueront près de 1 000 personnes, dont sa garde de 600 hommes,

Napoléon, dans un dernier adieu à sa mère, cherchera son approbation la veille du départ. Letizia, sentant que l’heure était grave et qu’elle ne reverrait probablement plus jamais son fils, lui dit : « Oui, allez, remplissez votre destinée. » et « Vous n’êtes pas fait pour mourir dans cette île abandonnée ».

Napoléon avait préparé trois manifestes qu’il envisageait d’adresser aux troupes, dont un au peuple français. La veille du départ, après avoir informé les soldats qui l’ont accompagné sur l’île d’Elbe de sa décision de retour en France, il leur adressa la première proclamation. Dans celle-ci, il leur décrit la trahison d’Augereau et de Marmont qui ont justifié son abdication.

Pour renforcer leur motivation, Napoléon, en visant les royalistes de Louis XVIII, leur lancera « L’Aigle, de clocher en clocher, volera jusqu’aux tours de Notre-Dame » et « Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Eylau, à Friedland, à Tudela, à Eckmühl, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moskova, à Lützen, à Wurschen, à Montmirail ! Pensez-vous que cette poignée de Français si arrogants puisse en soutenir la vue ? Ils retourneront d’où ils viennent ; et là, s’ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné pendant dix-neuf ans ! « .

Louis XVIII, en effet, estimait injustement qu’il était roi de France depuis la mort de son neveu Louis XVII, le 8 juin 1795.

 

1.2 En France

De retour de son long exil, Louis XVIII va se placer dans une situation délicate et complexe du pouvoir. Sa Charte constitutionnelle, inspirée de ce qu’il avait pu constater lors de ses sept dernières années d’exil en Angleterre, ne remettait pas complètement en question les avancées de la Révolution, du Consulat et de l’Empire.

Ce n’était pas, non plus, un franc retour à la monarchie absolue. En voulant trouver un compromis entre les « émigrés aristocratiques » et les « républicains » confirmé par les textes de sa Charte, Louis XVIII va progressivement mécontenter les uns et les autres.

N’oublions pas que la Révolution et la décapitation de son frère Louis XVI ont laissé des marques profondes, tant du côté des aristocrates que du peuple, mais aussi et surtout du côté des bourgeois. Ces derniers furent ceux qui ont le plus profité des bouleversements, depuis 1789.

D’après Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de 2005 à 2007,  dans son excellent ouvrage « Les Cent-Jours » de 2001, « un million deux cent mille personnes, issues majoritairement de la bourgeoisie et de la paysannerie, ont en effet acheté souvent à bas prix les anciens biens de la noblesse et du clergé, bouleversant de fond en comble la nature et la répartition de la propriété ».

Une grande partie des royalistes, émigrés depuis 1789, sont progressivement revenus depuis le Consulat, mais ceux-ci n’ont pas réussi à récupérer la totalité de leurs biens, vendus ou occupés par les « révolutionnaires » ou les nombreux nouveaux bourgeois.

D’autre part, la cohabitation de la nouvelle noblesse d’empire avec celle de l’ancien Régime ne put se faire sans créer des conflits et des frustrations réciproques. Ce que les historiens ont appelé « Restauration » ne se confirmait pas dans la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814.

Elle n’était pas non plus une véritable « rénovation ». Aussi, aucun des partis politiques en présence en 1814 ne put se satisfaire de cette situation confuse. Après tout, si Louis XVIII était roi de France en 1814, il le doit en partie à la Révolution, qui avait guillotiné son frère aîné Louis XVI et qui avait laissé mourir en prison son filleul Louis XVII.

La haine et le mépris étaient contagieux, y compris hors de l’enceinte confinée et réactualisée de la Cour. Les membres de l’ancienne aristocratie avaient repris leur place, autour du monarque. Dans la presse, on vit fleurir des propos nostalgiques et vengeurs contre les régicides ou les propriétaires de biens nationaux.

Les membres de l’Église ne furent pas épargnés. Majoritairement acquis à la cause, les ecclésiastiques, persécutés par la Révolution et la République, déçus par l’Empire, conservaient avec la royauté les liens du cœur, forgés par un passé historique, allant du baptême de Clovis aux récents tourments.

Loin de tout faire, pour calmer les griefs réciproques des foules, le gouvernement royaliste organisa le 21 janvier 1815 des cérémonies expiatoires en l’honneur de Louis XVI et de Marie-Antoinette, dont les corps furent exhumés et transportés à la basilique de Saint-Denis.

L’armée ne sera pas épargnée par Louis XVIII. Le 12 mai 1814, soit six semaines après son retour d’exil, le roi, par une ordonnance, réduit de moitié le nombre des militaires. Parmi les quelque deux cent mille remerciés, 12 000 officiers qui recevront « pour compensation » la moitié de leur solde. Ceux-ci seront les plus enclins à espérer le retour de Napoléon.

Toujours par ignorance ou par provocation, Louis XVIII confirma la nomination en avril 1814 du général Pierre Dupont de l’Étang comme ministre de la Guerre. Ce général s’était déshonoré en capitulant à la bataille de Bailén, le 23 juillet 1808, en Espagne.

Confronté à un simulacre d’armée de 40 000 volontaires espagnols, Dupont de l’Étang, général de l’armée de Napoléon en Espagne, se rendit sans combat. Il était pourtant à la tête de 20 000 soldats français très expérimentés. Les 20 000 soldats français furent déportés à Cadix, où ils mourront tous de faim ou de maltraitance.

Le comte d’Artois, frère cadet de Louis XVIII et futur Charles X, accompagné de Dupont de l’Étang, distribua plus de cinq mille Légion d’honneur en quelques mois. Déjà à cette époque, ces attributions furent, le plus souvent pour des motifs futiles et de préférence à des contre-révolutionnaires, des aristocrates ou des bourgeois.

Cette action délibérée du gouvernement royaliste avait pour objectif d’affaiblir le symbole de récompense nationale au mérite, représenté par la Légion d’honneur, créée par Napoléon Bonaparte.

À partir de cette époque, la Légion d’honneur sera souvent attribuée par les gouvernements suivants, dans un esprit de caste et d’entre-soi, plus que par mérite suite à un sacrifice national. Des exemples nombreux seront répertoriés, y compris au 21e siècle, où cette médaille fut parfois octroyée à des personnes qui avaient trahi leur devoir envers la nation.

Louis XVIII et son gouvernement, guidés par la haine de l’Empire, remplaceront progressivement les membres de l’armée, presque tous issus de l’ancienne grande Armée, par des mercenaires suisses ou allemands. Ces derniers seront volontairement bien vêtus, bien équipés et nettement mieux payés.

Ce qui aura pour conséquence, une augmentation sensible des rébellions dans les casernements et dans la population.

Chaque jour, la Restauration gâcha un peu plus ses chances en attisant toutes les haines, partout et en permanence. Concernant Napoléon, le gouvernement royal ne respectera pas le traité de Fontainebleau, en refusant de verser les indemnités prévues et en mettant en place une étroite surveillance de l’île d’Elbe.

L’objectif des royalistes était de tout faire pour réduire Napoléon à l’impuissance, y compris sur cette petite île. Louis XVIII enverra sur l’île d’Elbe quelques-uns de ses espions, comme Louis Guérin de Bruslart, en vue de tenter soit un enlèvement, soit l’assassinat de Napoléon. La tentative de vengeance du gouvernement royaliste n’aura aucune limite.

En septembre 1814, le ministre Talleyrand fut envoyé au congrès de Vienne pour représenter la France. Ce congrès, qui débuta le 16 septembre 1814 et se termina le 9 juin 1815, avait pour but de clarifier les frontières de la France et les dommages de guerre, suite à l’abdication de Napoléon, en avril 1814.

Pendant les séances de travail, la majorité des responsables des coalisés anti-France, poussés par Talleyrand, souhaitait une déportation de Napoléon sur une île plus éloignée que l’île d’Elbe.

Plusieurs propositions seront faites, pour justifier une surveillance plus aisée et surtout limiter ses possibilités de retour en France. Talleyrand ne sera pas présent en France, alors que Napoléon Bonaparte y accostera le 1er mars 1815, à Golfe-Juan.

 

2. L’envol de l’aigle

La traversée de la Méditerranée par la flottille composée de sept navires était particulièrement périlleuse, car les navires anglais étaient nombreux dans les environs. Les navires se regroupèrent à l’approche des côtes françaises. Ils arrivèrent sans encombre le 1er mars 1815, à Golfe-Juan (entre Cannes et Antibes) où la flottille va mouiller.

La proclamation à la nation, préparée par Napoléon, avant son départ de l’île d’Elbe, avait été copiée pour l’afficher dans toutes les communes de Golfe-Juan à Paris. Celle-ci insistait volontairement sur la souveraineté du peuple : « Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. » Et « Depuis vingt-cinq ans, la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire, qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances… » Puis « Français ! » Suivi de « Dans mon exil j’ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous réclamiez ce gouvernement de votre choix, qui seul est légitime ; vous accusiez mon long sommeil ; vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie. » Enfin, « J’ai traversé les mers au milieu des périls de toutes espèces ; j’arrive parmi vous reprendre mes droits, qui sont les vôtres ».

Le premier détachement envoyé à Antibes par Napoléon est fait prisonnier par la population provençale majoritairement royaliste. Napoléon avait donné consigne à ses troupes de ne pas faire usage de leurs armes. Son choix est de surprendre, jouer d’audace et de charisme, mais surtout d’aller vite à Paris. « Il faut voler. Le succès de l’opération réside en grande partie dans la surprise » dira Napoléon.

Pour limiter les risques de rencontrer des soldats à la solde de Louis XVIII, Napoléon empruntera des routes de montagne, étroites et escarpées jusqu’à Digne. Parcourant de quarante à soixante kilomètres par jour, la troupe souffrait sur ces chemins scabreux et parfois dans un froid sibérien. Le trajet se fera à pied et parfois, au mieux, à dos de mulet.

Au début du parcours, la population rencontrée était soit étonnée, soit vindicative. A l’arrivée de la troupe à Digne le 4 mars 1815, les accueils de la population sont nettement plus chaleureux. Le 5 mars 1815, Napoléon est à Gap où il reçoit de la population les « vive l’Empereur » en grand nombre. Il dira à Bertrand, en réponse à ces acclamations : « Enfin ! » Puis, « Nous sommes vraiment en France ».

À partir du Dauphiné, de nombreuses personnes rejoignent bruyamment la troupe, hurlant leur haine contre le clergé et la noblesse « venus endeuiller la gloire et piller leurs biens » comme le précisait Dominique de Villepin, dans son livre « Les Cent-Jours« . À cette population enthousiaste, Napoléon leur délivre sa troisième proclamation : « Citoyens…Vous avez raison de m’appeler votre père ; je ne vis que pour l’honneur et le bonheur de la France. » Suivie de, « Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes ; il garantit la conservation de toutes les propriétés. » Enfin, « L’égalité entre toutes les classes et les droits dont vous jouissiez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tous soupiré, forment aujourd’hui une partie de votre existence ».

À Paris, on est informé du retour de Napoléon dans le sud-est de la France. Celui-ci arrive enfin à Grenoble le 7 mars 1815. Tous les regards des royalistes et de la troupe qui accompagne Napoléon sont tournés vers la garnison militaire, composée de cinq mille hommes qui y séjournent.

Son commandant, le général Marchand, aux ordres de Louis XVIII, incite ses troupes à faire barrage à Napoléon. Mais ceux-ci, spontanément lui répliquent : « Nous serions bien c… de faire du mal à un homme qui ne nous a fait que du bien ». La situation est extrêmement tendue entre les officiers divisés et les soldats qui sont nombreux à avoir été sous les ordres de Napoléon, dans les batailles précédentes.

Napoléon prendra le risque de mourir ce jour-là en marchant seul face à ces nombreux soldats. Son aide de camp, le capitaine Raoul l’avait précédé pour crier aux soldats de la garnison : « L’Empereur va marcher vers vous. » Et, « Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour lui. » Suivi de, « Vous en répondrez devant la France ».

Après de longues minutes de silence, les soldats, face à Napoléon seul et sans arme, auraient pu le tuer, mais des centaines de « Vive l’Empereur » jaillirent de leurs rangs et brisèrent ce long moment d’hésitation. Les soldats, par centaines, rejoignirent Napoléon.

Entre-temps, le colonel Charles de La Bédoyère, commandant la garnison de Chambéry, reçut l’ordre de Paris pour aller renforcer la garnison de Grenoble et ainsi écraser Napoléon et sa petite troupe.

C’était sans compter sur le caractère et l’expérience du personnage, car celui-ci connaissait très bien Napoléon. Il avait combattu à ses côtés à Essling et pendant la Campagne de France avant de rejoindre Fontainebleau, en avril 1814.

D’autre part, le colonel de La Bédoyère, bien qu’issu de la noblesse, méprisait celle de Louis XVIII et vénérait les vrais courageux des champs de bataille. Quittant Chambéry avec ses soldats pour rejoindre Napoléon, il leur avait donné l’ordre de brandir l’aigle impérial et d’afficher immédiatement la cocarde tricolore sur leur tunique.

Installé quelques jours à Grenoble, Napoléon est à la tête maintenant d’une armée de plus de 7 500 soldats et d’une foule immense qui le suit. Elle le précèdera parfois jusqu’à Paris. En l’espace d’une dizaine de jours, du 9 au 20 mars 1815, la « Restauration » va s’écrouler dans un étonnement généralisé.

Paris finit par prendre véritablement conscience de la situation, le 5 mars 1815. Le gouvernement royaliste décide l’envoi de trois corps d’armée, l’un à Lyon et commandé par le comte d’Artois, le futur Charles X, et deux autres commandés par les fils du comte, en vue d’encercler Napoléon avant Lyon.

Louis XVIII, qui se méfie de son cousin le duc d’Orléans, le futur roi Louis-Philippe 1er et fils de Philippe-Égalité, guillotiné pendant la « Terreur » va l’imposer au comte d’Artois en tant qu’aide de camp. Cette « improvisation » confirmait le manque de réalisme et d’expérience, dans la préparation d’une expédition de plusieurs milliers de soldats. Ce genre d’organisation, même dans l’urgence, demande beaucoup de temps.

Le résultat sera l’arrivée à Lyon d’une troupe disparate, incomplète, mal préparée et mal commandée, même si à la tête de chaque corps d’armée, se trouvait en second un général ou un maréchal de l’empire, comme Ney.

De plus, il était pourtant difficile d’imaginer compter sur les armées, après les différentes actions négatives du pouvoir royal, envers ces soldats envoyés sur Lyon. Un grand nombre d’entre eux avait combattu avec Napoléon, sur divers champs de bataille.

Paris panique, mais fait semblant que tout va bien, qu’il ne s’agit que d’un petit désagrément qui sera vite effacé. Une certaine presse, déjà à cette époque, est totalement acquise au gouvernement royaliste en place. Elle diffuse « royalement » des mensonges sur la réalité qui se déroule à Lyon. Elle travestit la situation réelle, au point d’en être totalement ridicule.

Par exemple, alors que le duc d’Orléans, qui accompagnait le comte d’Artois à Lyon et avait dû s’enfuir devant la défaite ridicule des troupes royalistes, face à celles de Napoléon, rejoint finalement Paris, où dans les colonnes du « Moniteur » il découvre un récit surréaliste, le désignant héros de la bataille de Lyon.

La presse, comme souvent, aux ordres du pouvoir, va continuellement et principalement faire un travail de propagande. Cela sera aussi son travail essentiel, dans les siècles suivants et se vérifiera encore au 21e siècle.

La première Restauration aura permis aux royalistes « ultras » de sortir du bois. Plus exactement, avec le retour de Louis XVIII et surtout de son frère le comte d’Artois, futur Charles X, les royalistes ultras vont faire leur retour, avec leur cortège de haine, de jalousie et de complots.

Frustrés d’avoir été évincés du pouvoir depuis 1789, ils veulent se venger, contre la Révolution mais aussi et surtout contre l’Empire et tout ce qu’il représente. Malheureusement, la Restauration va aussi réveiller les esprits révolutionnaires des jacobins.

La France sera déjà, à cette époque, très fracturée et en état de guerre civile permanente. Fidèle à elle-même, la situation en France sous la Restauration est redevenue « une cocotte-minute sur le point d’exploser » alors que l’Empire avait apporté dans le pays paix et prospérité pour tous.

Jean-de-Dieu Soult, ancien maréchal d’Empire, nommé ministre de la Guerre par Louis XVIII, envoie à Lyon plusieurs régiments pour arrêter les troupes victorieuses de Napoléon.

Malheureusement pour lui, tous ces efforts ne mènent qu’à renforcer l’armée de Napoléon, car à peine arrivés à Lyon, ce ne sont pas les armes qui parlent, mais les « vive l’Empereur ». Soult était un aventurier.

Nommé maréchal d’Empire en 1084 par Napoléon, il a fait partie des premiers à le trahir, immédiatement après l’abdication de ce dernier, en rejoignant avec enthousiasme les royalistes.

Ney, à la tête d’une armée de 5 000 hommes, envoyés contre Napoléon par Louis XVIII, finira par se rallier lui aussi à Napoléon sans tirer un seul coup de feu. Ce dernier aura profité de son temps de pause à Lyon pour préparer l’avenir, la chute de la Restauration, la remise en place des institutions impériales, l’annulation de toutes les décisions prises par Louis XVIII et enfin l’amnistie générale.

De cette dernière, Napoléon exclura Talleyrand, Marmont, Pasquier, le préfet de police et quelques royalistes notoires.

Dans la panique générale au sein des royalistes du gouvernement, on recherche toute solution possible et imaginable permettant d’arrêter Napoléon avant son arrivée à Paris. Certains, à défaut de se reposer sur le « diable boiteux » (surnom donné à Talleyrand à cause de son pied bot) qui est en mission à Vienne, vont proposer en vain, directement au « diable » (surnom donné à Joseph Fouché), ancien régicide de la Révolution et ancien ministre de la Police sous le Consulat et l’Empire, le poste de ministre de la Police de Louis XVIII.

Celui-ci repoussera l’offre faite par Charles-Henri Dambray, Chancelier de France et Président de la Chambre des Pairs, en lui répondant : « Si j’avais été ministre de la Police, jamais Bonaparte n’aurait mis le pied en France. » Et, « Aujourd’hui, aucune puissance humaine ne l’empêcherait de venir jusqu’à Paris. » Enfin, « Il n’y entrerait cependant pas, si vous aviez seulement à lui opposer quatre bons régiments bien sûrs ; mais vous ne les avez pas ».

Paris n’a plus d’armée à opposer à Napoléon. Un vent de panique souffle sur la capitale et sur les royalistes. Ils sont nombreux à quitter le « navire » avant l’heure. Louis XVIII quitta finalement Paris en catastrophe sous la pluie, pour Gand en Belgique, juste avant l’arrivée de Napoléon aux Tuileries, le 20 mars 1815.

Informés du retour en France de Napoléon, les coalisés vont pour la septième fois se réunir et l’affronter. Ce sera la septième et dernière coalition anti-France.

 

3. La septième coalition anti-France

Napoléon, dès son arrivée à Paris, a promis de respecter le traité de Paris, signé en 1814. Il a dit : « Je m’engage, maintenant qu’il est signé, à l’exécuter fidèlement. » Et, « J’ai écrit à Vienne, à ma femme, à mon beau-père, pour offrir la paix, à ces conditions. » Enfin, « Sans doute la haine contre nous est grande, mais en laissant à chacun ce qu’il a pris, l’intérêt peut-être fera taire la passion ».

Malheureusement, l’Europe ne veut plus de ce « Jacobin » couronné et les coalisés vont concentrer leurs armées en Belgique. Même son épouse Marie-Louise, sous l’influence de Neipperg, lui écrira une lettre officielle, dans laquelle elle déclare se placer sous la protection des alliés (coalisés).

Initiée par Talleyrand et ratifiée par toutes les délégations européennes, la déclaration commune, rendue publique le 13 mars 1815, va signer l’arrêt de mort de Napoléon en ces termes : « Les puissances qui ont signé le traité de Paris, réunies en Congrès à Vienne, informées de l’évasion de Napoléon Bonaparte et de son entrée à main armée en France, doivent, à leur propre dignité et à l’intérêt de l’ordre social, une déclaration solennelle des sentiments que cet événement leur a fait éprouver… En rompant ainsi la convention qui l’avait établie à l’île d’Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. » Suivi de, « En reparaissant en France avec des projets de troubles et de bouleversements, il s’est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté, à la face de l’univers, qu’il ne saurait y avoir ni paix ni trêve avec lui ».

Ce sera donc la guerre à mort et son issue laisse peu de doute. La disproportion des forces laisse peu de chance à l’armée française, usée et fortement réduite par les dernières campagnes. De plus, son démantèlement méthodique par Louis XVIII a réduit sensiblement ses capacités à résister aux armées des coalisés anti-France. L’unique porte de sortie pour Napoléon est d’éviter le conflit armé, alors que la France entière n’aspire qu’à la paix.

Comme le souligne Dominique de Villepin dans son livre « Les Cent-Jours » de 2001, « Tout le tragique des Cent-Jours naît là, dans ce contraste entre la joie du retour aux Tuileries et le vertige de la guerre qui monte ».

Dans ce contexte, sa solitude, qui a été un atout décisif pour son retour de Golfe-Juan jusqu’à Paris, constitue son handicap majeur. Il n’a plus de réseaux organisés autour de lui. Il ne dispose plus des hommes sûrs et indispensables pour agiter et diriger l’administration. Napoléon se retrouve confronté à choisir, dans l’urgence, des partenaires compétents et, si possible, loyaux.

Il va sélectionner les personnes les plus amènes et avec lesquelles il devra négocier âprement pour les ministères importants, comme la Police, les Finances, le Trésor, la Marine, la Justice, les Affaires Étrangères et de la Guerre. Napoléon sera souvent contraint de faire des compromis étonnants et parfois « dangereux » comme la nomination de Joseph Fouché à la tête du ministère de la Police ou Davout au ministère de la Guerre.

Il aura fallu à Napoléon plus de deux jours de négociations et de compromis pour obtenir un gouvernement peu motivé et sans énergie. Choqué de ce constat, il leur dit : « Je vous trouve tous changés, il n’y a que moi de vous tous de bien portant ».

En fait, tous les ministres comme Carnot, Cambacérès et même Caulaincourt se montreront décevants et souvent inefficaces, dans des circonstances où justement, il faudrait qu’ils soient exceptionnels. Seul Davout se montrera précis et excellent.

Quant à Fouché, sans doute le meilleur élément du Conseil, travaillera souvent en sous-main contre Napoléon, ménageant l’avenir incertain et peut-être le retour prochain de Louis XVIII. Ce dernier, le 22 mars 1815, était arrivé à Lille, hésitant encore à émigrer en Belgique ou à Londres, car il pensait que le retour de Napoléon en France serait de courte durée.

Plus ou moins efficaces, les mini-rébellions en Vendée, organisées par quelques chefs royalistes, vont pourtant ajouter à Napoléon une nouvelle épine dans le pied. En effet, ces petites révoltes facilement étouffées occuperont, durant trois mois, quelque vingt mille hommes de Napoléon, qui auraient été bien utiles sur le front à Waterloo.

Contrairement aux attentes, c’est dans le sud de la France que ces révoltes royalistes seront les plus intenses. À Bordeaux, avec à la tête des royalistes, la duchesse d’Angoulême (la fille de Louis XVI) et à Lyon, avec le duc d’Angoulême (l’un des fils du futur Charles X).

En attendant de s’accorder sur les opérations militaires à mener à partir de la Belgique, certains coalisés (Anglais, Hollandais et Prussiens) vont envoyer 200 000 hommes de troupe près de Gand. Les autres coalisés (Russie, Autriche, Espagne) mobiliseront encore 500 000 hommes, qui arriveront progressivement.

Face à ces effectifs, décidés d’en finir avec Napoléon, celui-ci sait que l’issue de la bataille ne peut lui être favorable. Sans compter qu’en France, les ministres « traînent les pieds » pour œuvrer dans le sens de Bonaparte.

Certains, comme Fouché, vont carrément conspirer contre lui. Même Benjamin Constant, chargé de préparer une nouvelle Constitution, négociera constamment avec les « jacobins » de retour en force, après le départ de Louis XVIII.

On pourrait se laisser à penser que l’aventure des « Cent-Jours » de Napoléon serait un véritable fiasco et complètement inutile. Or, les événements qui vont s’enchaîner à cause de Napoléon, depuis son retour en France, vont profondément marquer, non seulement l’histoire de notre pays, mais celle aussi de toute l’Europe.

En effet, en France, la discorde entre Louis XVIII et son frère, le futur Charles X, va s’amplifier et donner lieu à des conflits entre royalistes modérés et royalistes « ultras ». Les complots, dénoncés à juste titre, du duc d‘Orléans, le futur Louis-Philippe 1er, avec les coalisés entraîneront de vives tensions entre Louis XVIII et son cousin. Ce qui entraînera de fait des désaccords parmi les coalisés.

Certains prendront cause pour un camp et d’autres pour l’autre camp. Au Royaume-Uni, les membres du gouvernement, eux aussi, sont de plus en plus divisés. Le gouvernement « tory » (conservateur) est en passe de céder la place aux « whigs » (libéraux) majoritairement pacifistes.

La victoire des coalisés sur Napoléon en 1814 et sa première abdication ont entraîné la réémergence de conflits d’expansion de territoires, entre la Russie, la Prusse et l’Autriche. Les grands perdants, dans ces conflits, seront la Pologne et la Belgique.

La Pologne disparaîtra, absorbée par les « trois ogres » Russie, Prusse et Autriche. La Belgique sera, elle, rattachée contre son gré, au nouveau royaume de Hollande (Royaume-Uni des Pays-Bas).

Fin mai 1815, l’échéance de la « bataille finale » approche. Les coalisés, bien que confiants dans leur supériorité numérique, redoutent encore l’affrontement avec le « diable corse ». Ils ont essuyé tellement de défaites pendant les 15 années précédentes, alors que souvent, comme cette fois, ils étaient en nombre supérieur aux armées françaises. Les dernières défaites cuisantes des coalisés face aux armées françaises se sont produites pendant la Campagne de France en 1814.

Avant de se lancer dans l’attaque de la France, les coalisés souhaitent attendre d’avoir réuni toutes les armées prévues, soit près de 800 000 hommes. Cependant, les Russes, comme les Autrichiens, venant de plusieurs milliers de kilomètres, ne pourront participer au début des premières batailles.

En effet, Napoléon, comme à son habitude, force le destin et anticipe la date de l’affrontement prévue par les coalisés, en les attaquant les 14 et 15 juin 1815. Les troupes anglaises, hollandaises et « allemandes » (93 000 hommes) commandées par le général Arthur Wellesley (duc de Wellington) étaient cantonnées près de Bruxelles, alors que les armées prussiennes (117 000 hommes), sous les ordres du général Gebhard Leberecht von Blücher, étaient installées à proximité de Namur.

Napoléon, qui avait réussi à mettre sur pied en un temps record une armée de 120 000 hommes, passe la frontière belge à Charleroi et se positionne entre les deux armées des coalisés. Malheureusement pour Napoléon, ses généraux ne seront pas à la hauteur de l’enjeu. Napoléon n’a plus les généraux et maréchaux de la « grande Armée ».

Même son frère Jérôme, qui commande plus de 8 000 hommes face à 4 000 Anglais retirés dans une ferme fortifiée, décevra profondément Napoléon. Tout comme le maréchal Jean-de-Dieu Soult, ambitieux et incompétent, sera décevant lors de la bataille de Waterloo et en grande partie responsable de la défaite finale.

Aux déboires de Napoléon, s’ajouteront les nombreuses erreurs, dues aux rivalités entre les généraux Vandamme et Grouchy, au mauvais caractère du général Ney, peu prompt à exécuter les ordres, et ainsi qu’à la trahison du général Bourmont. Ce dernier rejoindra les coalisés le 15 juin 1815, avec une partie de son état-major.

Les 16 et 17 juin 1815, c’est une suite de bévues de la part du maréchal Ney face aux Anglais, engendrant une accumulation des retards dans les actions prévues par Napoléon, qui donnera un résultat mitigé de la bataille engagée depuis trois jours. Les pertes du côté des Prussiens (15 000) sont nettement supérieures à celles du côté des Français (8 000).

Malheureusement pour Napoléon, l’effet de surprise escompté est réduit à néant, principalement à cause de Ney, de son mauvais caractère et de son refus d’obéir immédiatement aux ordres de l’Empereur. Pour sa défense, il faut reconnaître que les ordres de l’Empereur avaient été mal transmis à Ney, par Drouet d’Erlon. Les armées du duc de Wellington, en se repliant vers Waterloo, vont faire leur jonction avec celles de Blücher, dans la soirée du 17 juin 1815.

Napoléon, contraint par le manque de généraux et de maréchaux performants sur ce champ de bataille et trompé sur l’état des forces prussiennes encore en état de se battre, souhaite se déporter personnellement vers celles des Anglais.

Aussi, il confia au maréchal Grouchy, le seul disponible, à la tête de 30 000 hommes, la responsabilité de poursuivre Blücher et les 117 000 Prussiens, en mouvement vers Waterloo. Grouchy, par peur de se retrouver face aux Prussiens, va les poursuivre trop lentement. Il accumulera ainsi une journée de retard qui sera fatale, car les Prussiens auront ainsi rejoint les Anglais, fortifiés aux abords de Waterloo.

Aux déboires accumulés depuis trois jours, s’est ajouté le facteur « météo » dans la nuit du 17 au 18 juin 1815. Celle-ci n’est vraiment pas favorable à Napoléon. Il a plu averse toute la nuit et le champ de bataille s’est transformé en un sol détrempé, où la boue limite fortement les opérations de la cavalerie et de l’artillerie.

Le 18 juin 1815, à cause de la pluie, l’ordre d’attaque sera finalement décalé de deux heures, ce qui donnera aux Prussiens le temps de manœuvrer en débouchant sur la droite des Français, s’apprêtant ainsi à les contourner. Les Prussiens, pourtant poursuivis par l’armée de Grouchy, s’étaient placés sur la droite du champ de bataille, bousculant ainsi les plans de Napoléon.

En fait, le gros des forces prussiennes a rejoint discrètement la veille les Anglais fortifiés aux abords de Waterloo. Une faible partie seulement de l’armée prussienne faisait croire à Grouchy que l’ensemble des armées prussiennes étaient encore à Wavre, loin de Waterloo. Ce dernier, peu motivé et berné par les Prussiens, n’apportera pas le secours nécessaire et attendu à Napoléon.

Il était pourtant à la tête d’une armée de 30 000 hommes qui fera défaut à Waterloo. Grouchy portera à cet instant la responsabilité de la défaite finale des Français, pourtant héroïques à Waterloo. Sur les 70 000 soldats français dirigés par Napoléon, 10 000 seulement pourront s’extraire de ce carnage, face aux armées coalisées composées de plus de 200 000 soldats prussiens, anglais, hollandais et allemands.

Napoléon, après une longue hésitation face au désastre de la bataille, finit par choisir de retourner à Paris pour défendre devant les Chambres la situation et son avenir. Il arrivera au palais de l’Élysée le mercredi 21 juin 1815, où il sera accueilli par Caulaincourt.

 

4. La trahison du ministre Fouché et de La Fayette

Le ministre de la Police Fouché est informé dès le 19 juin 1815 de la défaite des armées françaises à Waterloo. Comme à son habitude, Fouché l’éternel intriguant va entamer un processus de déstabilisation des Chambres, avant que celles-ci ne soient au fait de la situation.

Il mettra dans la confidence, La Fayette, l’ancien « révolutionnaire » de 1789, redevenu pour la circonstance l’adversaire « royaliste » et « fidèle » à Louis XVIII, en vue de fomenter ensemble un coup d’État parlementaire, avant que Napoléon expose, devant la Chambre, sa vision personnelle de la situation.

Napoléon, qui aurait pu légalement dissoudre la Chambre, va reculer et choisira de déléguer son frère Lucien pour défendre sa situation devant l’Assemblée au Palais-Bourbon. Le travail de déstabilisation de Fouché et de La Fayette a fait son œuvre et ceux-ci seront acclamés face à Lucien, désapprouvé et humilié.

Napoléon, pressé par ses ministres, dont Fouché, de déclarer au plus vite son abdication, finira par céder à cette injonction, pour éviter la guerre civile dans le pays.

Il demandera à son frère Lucien, le plus opposé à cette abdication, d’écrire le texte de sa déclaration : « Français, en commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés et le concours de toutes les autorités nationales ; j’étais fondé à espérer le succès et j’avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. » Et, « Les circonstances me paraissent changées. » Suivi de, « Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. » Puis, « Puissent-ils être sincères dans leur déclaration et n’en avoir voulu réellement qu’à ma personne ! » Enfin, « Unissez-vous pour le salut public et pour rester une nation indépendante.« 

Fouché, très habile dans la manipulation des individus, va réussir à se faire élire à la tête d’un gouvernement provisoire composé de cinq Directeurs (sorte de nouveau Directoire). Il réussira si bien sa manœuvre qu’il évincera même La Fayette, lui aussi, trompé par l’ex-ministre de la Police, de la direction de la Garde Nationale.

Cependant, la situation en France reste extrêmement tendue. En effet, depuis deux jours, les armées et le peuple, fidèles à Napoléon, se sont regroupés autour de Paris et menacent d’intervenir pour protéger l’Empereur. Les « vive l’Empereur » sont présents partout, jour et nuit. Cette situation incitera Napoléon à quitter discrètement Paris, pour se « déconnecter » de cette pression permanente.

Il rejoindra le château de la Malmaison, la demeure qu’il avait achetée pour Joséphine et située à Rueil-Malmaison, aux portes de Paris. Il y retrouvera Hortense, la fille de Joséphine et mère du futur Napoléon III.

Il y restera près de celle qu’il a faite reine de Hollande, du 25 au 29 juin 1815, attendant une réponse de la part de Fouché. Il attendait depuis son abdication une réponse à sa demande de pouvoir émigrer vers les États-Unis. Fouché, en fait, faisait traîner volontairement sa réponse, pour se ménager un élément de négociation face aux coalisés et Louis XVIII sur le point de revenir.

Du 26 au 28 juin 1815, Fouché fait croire à Napoléon que les frégates supposées transporter l’Empereur aux États-Unis sont prêtes à partir du port de Rochefort, mais qu’il attendait les sauf-conduits de la part des Anglais.

Les Prussiens continuaient à avancer sur Paris et sur le château de la Malmaison. Ils ont promis de faire fusiller Napoléon sur le front des troupes. Le 29 juin 1815, enfin d’après-midi, Napoléon, habillé en bourgeois, quitte la Malmaison pour Rochefort dans une simple berline à quatre places.

Ses plus fidèles Bertrand, Beker et Savary l’accompagneront. Les Anglais, prévenus par Fouché, feront pointer sur Rochefort une trentaine de navires de guerre en vue de capturer le « fugitif »

Le duc de Wellington, consulté par Fouché via quelques espions, se prononce clairement pour le retour au plus vite de Louis XVIII à la tête du pays. Sa décision, soutenue en Angleterre par le gouvernement en place, s’imposera de fait aux coalisés, compte tenu des résultats de la bataille à Waterloo. Ce choix sera aussi approuvé par l’Empereur d’Autriche François 1er.

Le tsar de Russie Alexandre 1er serait plus favorable à l’avènement du duc d’Orléans, cousin de Louis XVIII et futur Louis-Philippe 1er. En France, le choix de Wellington sera soutenu évidemment par Fouché, président du gouvernement provisoire, mais aussi par Talleyrand, ministre des Affaires étrangères de Louis XVIII.

En fait, Fouché et Talleyrand sont secrètement aussi favorables au duc d’Orléans. Cette opération ne sera pourtant pas simple à réaliser, car en France, les armées (plus de 75 000 hommes), le peuple et les Chambres, sont hostiles à Louis XVIII et surtout aux royalistes.

Parti de Vienne le 10 juin 1815, Talleyrand rejoint Louis XVIII encore à Mons en Belgique, le 23 juin 1815 en fin d’après-midi. Il vient négocier la présidence du Conseil  et la tête de Blacas, ministre favori de Louis XVIII. Ce dernier partira de Mons, avec sa cour, le 22 juin 1815, direction Paris, après avoir reçu confirmation par écrit de la part de Wellington.

Pas vraiment pressé d’affronter la situation en France, il mettra vingt jours pour arriver enfin à Paris. Talleyrand, qui a rencontré brièvement Louis XVIII avant son départ de Mons, a eu un échange plutôt froid avec le roi qui, après lui avoir accordé le limogeage de Blacas, lui a ordonné de se retirer quelque temps, éventuellement aux eaux de Carlsbad que Talleyrand connaîtrait bien.

Louis XVIII, quelque peu perturbé d’avoir été obligé de se séparer de son ministre favori Blacas et sous la pression de son frère cadet, le futur Charles X, chef des « royalistes ultras » va rédiger une proclamation menaçante, datée du 24 juin 1815, au Cateau-Cambrésis.

Le contenu de ce document effraya le duc de Wellington qui entrevit le réveil possible d’une guerre civile en France. Il s’en expliqua avec Louis XVIII, à qui il demanda de bien vouloir faire revenir Talleyrand pour assurer la présidence du Conseil et ainsi rétablir l’ordre, sans effusion de sang.

Le duc de Wellington exigera de Talleyrand de reprendre sa place le 26 juin 1815, à la tête du gouvernement français. Mis en cause concernant les troubles lors de la première Restauration, les royalistes « ultras » seront montrés du doigt. Il s’ensuivra une réelle passe d’armes, lors de la première réunion du Conseil, entre le duc de Berry, fils du futur Charles X, et Talleyrand, président du Conseil du roi.

Le 2 juillet 1815, le roi arrive au château d’Arnouville, près de Saint-Denis. C’est le moment que choisissent Talleyrand et Fouché pour se rencontrer devant Louis XVIII.

François de Chateaubriand, présent lors de cette rencontre, décrira cette scène stupéfiante dans son œuvre « Mémoires d’Outre-tombe » achevée en 1841 : « Ensuite, je me rendis chez Sa Majesté : introduit dans une des chambres qui précédaient celle du roi, je ne trouvai personne ; je m’assis dans un coin et j’attendis. Tout à coup, une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment. »

Tout n’est pas encore joué. Les armées de l’Empereur, hostiles aux royalistes, se sont regroupées autour de Paris et maintiennent la pression sur les armées des coalisés. Le 1er juillet 1815, les armées françaises, fortes maintenant de plus de 100 000 hommes, ont écrasé deux régiments de cavalerie prussiens, dans une brève bataille à Rocquencourt près de Versailles. Fouché et les autres ministres du gouvernement provisoire travaillent, avec les chefs militaires, pour préparer un armistice.

Contrairement aux Anglais, les Prussiens, avec à leur tête Blücher, répandent la terreur dans toute la région parisienne. Déjà à cette époque, les Prussiens violent, volent, assassinent, incendient et détruisent des monuments publics. Ils ont recours aux pratiques « barbares » les plus odieuses.

Cet armistice, rebaptisé « convention » est finalement signé le 3 juillet 1815. Le 7 juillet 1815, sera la transition entre le gouvernement provisoire et la Seconde Restauration. Fouché, en position d’arbitre puisqu’il va quitter son poste de président du Directoire qu’il va trahir, pour son nouveau poste de ministre de la Police de Louis XVIII, de retour à Paris, soit « 100 jours » après s’être exilé en Belgique.

Arrivé à Niort dans la nuit du 1er au 2 juillet 1815, Napoléon apprend par la dépêche du baron Bonnefoux, préfet maritime, que la sortie des frégates du port de Rochefort est impossible, car la flotte anglaise a mis en place un blocus. Le 15 juillet 1815, Napoléon s’apprête à monter à bord du Bellérophon, navire anglais lourdement armé (74 canons).

Après avoir envisagé plusieurs possibilités d’évasion, Napoléon s’est résigné le 13 juillet 1815 à se rendre aux Anglais, plutôt qu’aux royalistes français, qui l’auraient fort probablement fait fusiller.

La chasse aux bonapartistes va commencer dans toute la France, pourtant presque entièrement occupée par les armées des coalisés. Les royalistes « ultras » seront à nouveau en position de force, à la suite des élections de septembre 1815. Fouché sera à son tour renvoyé par le roi, suite à l’intervention d’un autre intrigant, Talleyrand.

Napoléon sera transporté par les Anglais sur l’île de Sainte-Hélène, au milieu de l’océan Atlantique sud. Il y débarquera le 16 octobre 1815. Il y sera sous la continuelle surveillance d’une garnison anglaise, commandée par Sir Hudson Lowe.

Il décèdera sur cette île, à l’âge de 51 ans, le 5 mai 1821, suite à un probable cancer de l’estomac et surtout de très mauvaises conditions de détention.

 

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Pour lire la suite, voir le chapitre  » 1815-1830″...